Le Blog Surf Prevention offre une tribune libre à tous les contributeurs externes qui souhaitent s’exprimer sur le surf, la santé, l’environnement, la culture, la société… Aujourd’hui, nous publions un article paru sur le blog Monolecte d’Agnès Maillard intitulé « L’imposture humanitaire » qu’elle a rédigé à partir d’un entretien avec un surfeur prénommé Jérémy (nom d’emprunt) qui nous dépeint l’envers du décor du fonctionnement de certaines grosses boîtes et ONG qui schématise en quelque sorte le modèle économique de nos sociétés malades.

« Au début, je voulais surtout voyager. »

Jérémy a la petite vingtaine tranquille et joyeusement ébouriffée des membres de la grande tribu des surfeurs, des glisseurs, des grimpeurs, l’œil aussi limpide qu’un lac pyrénéen à la fonte des glaces et un projet de vie qui se construit pas à pas.

Le meilleur du pire.

« Après le bac, je suis donc parti à Pau pour un BTS en commerce international. »

J’arrive à ne pas tiquer, c’est le métier qui rentre, mais il lance ça avec un grand naturel et une tête d’anarchiste convaincu qui ne cadrent vraiment pas avec l’idée que je me fais des petits kikis qui gravitent dans les formations commerciales.

– « Ce qui m’intéresse, au départ, ce sont les relations humaines. Le commerce, pour moi, c’est avant tout des relations humaines. Or, dans les écoles de commerce, ce n’est pas du tout ça qu’on t’apprend : faut pas faire de sentiments, la communication, ça peut être de la manipulation, on nous apprend à appâter le client et à prendre les gens pour des cons, c’est-à-dire comment faire des sous. »

– « Et là, pendant deux ans, tu te rends compte que ce n’est pas ton truc. »

– « Mais je l’ai fait un peu exprès aussi. Parce que si on veut démonter les choses dans la vie, faut commencer par savoir comment ça marche. »

Pendant deux ans, Jérémy enquille les stages. Uniquement dans de grosses multinationales. Premier stage en République Dominicaine, zone franche.

– « Le pire du capitalisme : la délocalisation par l’argent ! Choquant ! L’un des gros fabricants de boots du monde. Ils ont des filiales partout. Et là ils produisaient les snow-boots des mecs du Nord dans une zone franche, créée pour développer le pays. Une zone franche, c’est à dire pas de taxes. »

– « Mais s’il n’y a pas de taxe, comment tu développes le pays ? »

– « Par les salaires. Enfin, c’est ce qu’ils croient : pas de tunes, pas de salaires, travail dans des conditions de merde, pas de syndicat et voilà ! J’étais content. Parce que j’étais à la source, parce que je voyais vraiment comment c’était. »

Mais notre Jérémy ne s’arrête pas en si bon chemin et rempile pour une autre multinationale chère à son cœur de surfeur.

– « Mon boulot au pôle logistique était de trouver des papiers pour les marchandises, les certificats d’origine, l’équivalent des certificats de naissance pour les humains. Là, ce qui était particulièrement intéressant, c’était de pouvoir comparer les prix d’achat à la production avec les prix de revente : c’est assez fabuleux. Je me disais, assez logiquement : ces gars font du surf, je fais du surf, on devrait s’entendre, quelque chose de cool, quoi, l’esprit du surf. Mais voilà le surf est bouffé par l’argent, la compétition et les gars font ça juste pour le pognon, ce ne sont pas des surfeurs. Le surf, ils s’en foutent. Ils sont là pour faire du pognon et c’est tout. »

La fin de l’humanitaire de papa.

Et voilà comment Jérémy, après une année de profonde réflexion sur son avenir professionnel manifestement incompatible avec ses aspirations profondes, intègre une licence en solidarité internationale, une formation chapeautée, il nous le donne en mille, par le Ministère de l’Intégration et de l’Immigration. Tout un programme !

– « L’humanitaire est devenue un milieu très fermé. La motivation ne suffit plus, il faut aussi une bonne formation. Et le candidat type pour intégrer une grosse ONG, il sort de Sciences Po, des grandes écoles. Ma licence professionnelle est donc un tremplin. Elle me permettra d’avoir des contacts dans le milieu, ce qui devrait m’ouvrir des portes. Ça fonctionne pas mal en réseau. Aujourd’hui, l’humanitaire cherche des compétences particulières : logistique, gestion de projets et aussi des profils purement spécialisés, très techniques, directement opérationnels, en assainissement de l’eau, électricité, des profils ingénieurs. »

Des écoles à former de bons petits gars avec le cœur sur la main et les pieds solidement ancrés dans le sens des réalités, il y en a quatre en France, trois universitaires et une école privée. Bien sûr, c’est dans l’école privée que sont recrutés prioritairement les nouveaux cadres dynamiques de l’humanitaire français, ce sont ces petits gars qui décrochent prioritairement les meilleures places dans les grosses ONG, celles qui ont de l’argent et donc celles qui peuvent agir.

– « Il faut voir le film Profession humanitaire. C’est assez choquant. C’est justement un film sur la formation Bioforce [L’école privée], ses coulisses, les apprentissages. C’est une formation très chère avec beaucoup de moyens… on leur apprend même à conduire des 4×4, c’est assez fabuleux, c’est le gros cliché humanitaire. Les gars sont dans un mode opérationnel qui fait qu’ils ne se posent pas de questions sur ce qu’ils font et sur l’influence que ça aura sur les bénéficiaires. Jusqu’à présent, l’humanitaire ne se posait pas trop de questions sur ses missions ou les conséquences des actions humanitaires sur l’ensemble de la société et des personnes concernées. L’humanitaire c’est quand même quelque chose d’assez récent, plutôt dans le prolongement de l’époque colonialiste. L’aide d’urgence ne pose pas trop de problème : quand la maison brûle, tout le monde est d’accord pour que les pompiers éteignent le feu. Mais le développement, lui, pose beaucoup de problèmes. Jusqu’à présent, on décidait de ce qui était bon, de ce qui était bien pour les autres. C’est typiquement le droit d’ingérence : on décide d’aller t’aider, même si tu n’es pas d’accord et sans se poser la question de savoir ce que les gens ont réellement besoin. On a les moyens pour faire des trucs et on va l’imposer. »

– « Tu dis qu’en fait, l’humanitaire est en train de changer profondément, à travers les petits gars comme toi qui sont formés pour réfléchir ? »

– « Oui, parce que la société occidentale elle-même est en train de se remettre en question sur ses choix fondamentaux. Jusqu’à présent, l’humanitaire servait surtout à boucher les trous laissés par le capitalisme mondial. »

Les ONG, comme bras armé de pansements du grand cirque capitaliste. Les ONG, comme palliatif politique à l’indigence ou le désengagement des États.

– « Les ONG ont vocation à disparaître, à transférer à l’État leurs missions de développement. »

– « Un peu comme les Restos du cœur qui, dès l’origine, palliaient l’insuffisance sociale de l’État et avaient vocation à disparaître et pourtant ne cessent de grossir ? »

– « C’est exactement la même chose, le caritatif chez nous ou l’humanitaire ailleurs. Avec la crise, les missions des ONG grossissent de plus en plus avec de moins en moins de moyens. L’autre problème, c’est qu’avec des moyens limités, les ONG font très attention à leur recrutement. Le personnel est coûteux, il faut donc qu’il soit hyper efficace sur le terrain. Et ça, Bioforce sait faire. De l’humanitaire bien traditionnel! »

– « Oui, mais est-ce qu’à force de chercher l’efficacité, est-ce que la machine humanitaire ne va perdre de vue son objectif premier ? »

– « Les ONG fonctionnent comme une entreprise : une comptabilité à tenir, des comptes à rendre à leurs bailleurs de fonds. Les moyens qui financent l’action humanitaire choisissent donc les actions à mener. »

Et les financeurs de l’humanitaire sont loin d’être neutres : l’Europe et sa vision politique, les fondations privées, financées elles-mêmes par les grosses multinationales dans lesquelles Jérémy avait pu apprécier toute la grandeur de l’horreur économique mondialisée.

– « L’argent, c’est le nerf de la guerre. Les multinationales ne sont là que pour le profit et pour redorer leur image de marque, elles financent l’humanitaire. »

Et la boucle est bouclée. Les grosses multinationales se nourrissent et entretiennent la misère des peuples, comme Jérémy l’a découvert lors de sa formation en commerce international. Et ensuite, elles financent les projets humanitaires qui améliorent leur image de marque et font oublier leur rôle dans le merdier général. Et nos petits soldats de l’humanitaire utilisent leurs compétences commerciales pour vendre au grand capital les projets de développement qui favorisent, quelque part, le maintien à faible coût, des inégalités dont il se nourrit.

Source : http://blog.monolecte.fr/post/2010/01/14/L-imposture-humanitaire

 

A propos de l'auteur :

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16 Commentaires

  1. Marc dit :

    Hélas ,tu nous apprends rien .En restant dans le business du surf c'est l'exemple type de ces grandes multinationales qui véhiculent une image galvaudé auprès du public de masse en les faisant rêver ..!!! la réalité est tout autre chose et il serait temps de dénoncer les pratiques honteuses de celles ci …!!!Pour ne parler que du monde du surf ,ces dernières années (croissance à deux chiffres ) a enrichi honteusement une petite poignée d'opportunistes à n'importe quel prix …! c'est une machine de guerre qui n'hésite pas d'exploiter la misère humaine ..!

  2. nono dit :

    ce truc la , ces gens la , c est un peu tout le monde, sauf moi (et encore), on dira que l homme est un loup pour l homme (et ce pauvre loup qu a t il fait de mal encore?) ou que c est la nature humerde.Et ouai tout cette mentalite cool vehiculer par la TV, les marques , le style quoi, et tout ces petit megots jetes par la fenetre en loosede comme de minable zombie materialiste qui ne veule pas salire le cendrier de leur bagnole a credit (je travaille pour payer ma voiture et j ai une voiture pour aller travailler).
    Enfin pour dire que l homme est egoiste et que c est pour ca que l argent est roi, t as compris le coup? apres je t explique.

  3. vintz dit :

    qui dit ONG dit […], et qui dit […] dit des blaireaux qui y connaissent rien à l'océan.

  4. Dav dit :

    l'argent est roi parceque apparemment dans nos sociétes modernes, tu ne peux rien faire de ta vie sans argent tu n'es rien et tu n'iras nulle part. Donc tu va passer 90% de ton temps a bosser souvent pour des vampires en costumes cintrés et tu te dit que après tout a quoi bon tout cela, le problème c'est que la monarchie du pognon maintien l'ordre mondial et aveugle la masse.

  5. Marc dit :

    En l'occurrence,je dirai pour des vampires en tongues ,shorts, lunettes de soleil et le Cayenne ,le Q5 etc….devant la porte ..!!(clin d'oeil )

  6. christophe dit :

    Excellent billet.

  7. clo dit :

    Faudrait quand même pas généraliser au sujet des ONG. Certaines font du très bon boulot. C'est sur que le plus souvent,si tu veux oeuvrer avec elles, faut pas trop compter gagner ta vie(et j'en connais pas beaucoup prêt à se sacrifier les vacances ou voir plus)…Après on est d'accord que beaucoup de boîtes(et même certains Etats),utilise ce créneau(tel que le "développement durable") pour se donner une image.En plus nous en sommes tous complices ou bien faut se mettre à la couture et au tricot avec ton élevage de mouton, ou encore payer le double le t-shirt.
    Mais dire que toutes les démarches des ONG sont intéressées, je trouve ça un peu exagéré.Article intéressant mais qui ne montre qu'un côté des choses.

    • Rom dit :

      Entièrement d'accord! Et il ne faut pas oublier que les employés des ONG sont des employés comme les autres, pleins de bonnes intentions mais aussi avec une vie, des besoins.
      Non, les vendeurs de surf ne sont pas tous cools et le personnel des ONG non plus.
      Mais ça on ne peut pas le savoir quand on a bossé 2 semaines en stage et qu'on se pose déjà en donneur de leçons.

  8. Rom dit :

    Mon dieu mais vite il faut prévenir les autorités!!! Des gens qui font de l'argent sur le dos des autres… J'ai jamais entendu d'histoire pareille je suis vraiment outré!
    Sans déconner…
    Cet article aurait du s'intituler "Les désillusions d'un jeune étudiant en commerce" qui découvre la vie, juge du haut de son premier stage de deux semaines, se demande comment trouver sa place dans la société et qui va finir par calmer sa petite rebellion en faisant son premier crédit pour son appart mal isolé au bord de la plage avec sa biatch.
    Oui au fait la guerre c'est mal mais les enfants et les bébés chiens c'est mignon.

  9. Pidj dit :

    Franchement, c'est quoi cette analyse?
    Le mec il fait deux trois stages, une formation privée et il a sa vision du monde ? Et il la partage ? Waw, sacrée confiance en lui !
    Le problème, c'est qu'il se pose en donneur de leçon et nous fournit un constat, forcément tronqué du fait de sa faible expérience.

    Les actions gouvernementales (Agence Française de Développement du ministère des affaires étrangères), des organisations internationales (unesco, Food Agricultural Organisation…) sont oubliées, de même que la complexité des relations avec les Etats pas toujours nets à 100%

    Le problème est trop vaste pour être traité de la sorte.

    L'intention est louable mais restez un blog de surf, c'est mieux !

  10. Bounj dit :

    Peu importe son age ou la durée de son expérience, on voit bien que ce Jérémy a les yeux ouverts et critiques. Une qualité essentielle et qui fait beaucoup trop défaut encore aujourd'hui.

    C'est avec des gens comme lui qui observent et analysent que l'on pourra mettre en place des organisations nouvelles qui donnent plus de place à l'humain et la nature. Alors comme te le conseille Rom, ne fais pas de crédit Jérémy!

  11. RD dit :

    Intéressant, ce témoignage. Il est parfaitement transposable avec les actions d'organisations soi-disant plus vertes que vertes. L'une d'entre elle, la plus connue, se finance grâce à une autre association qui elle récolte des fonds auprès des poids lourds industriels donc des plus gros pollueurs. L'asso tampon permet le greenwashing. Par exemple Totol donnera X dizaines de milliers d'euros à cette asso tampon qu'on appellera tampix-france. Totol pourra se gargariser (brochures commerciales…)d'actions durables et de soutien à la cause environnementale. La grosse ONG qu'on appellera Iglobuzz society percevra en réalité des sous de l'affreux Totol mais officiellement le donateur c'est Tampix france. Forts d'un budget conséquent, les cadres d' Iglobuzz society choisissent ensuite des actions en fonction d'un ratio coût/visibilité médiatique. Il s'agit d'un calcul économique classique qui veut qu'on préfère toujours faire plus avec moins. Question : qu'y a-t-il de noble là-dedans ? Puisque l'essentiel de l'opération aura consisté à décerner un titre de gentillle entreprise éco-responsable à une société-crapule (Totol) ? Le résultat sur le terrain ? Effet quasi-nul mais visibilité maximale : ce qui compte c'est qui se voit. On choisit telle action sur telle partie du globe en fonction de son bon rapport coût/visibilité : la cause passe au second plan. On s'en fout, car une fois auréolé du titre de super héros des temps modernes (grâce au film surmédiatisé tourné à l'occasion de l'action coup de poing), on pourra parader sur les plateaux télé voire écumer les réceptions mondaines avec au hasard, Massimo Gargia. Ensuite, après quelques années de fake attitude héroïque, et comme on s'est fait connaître auprès du grand public, on briguera un poste important très bien payé dans le greenbizness, à la télé voire pourquoi pas en politique (on s'y est déjà fait des "amis"). Voilà la vérité de ces héros trop visibles. les vrais héros en général, on ne les voit pas. Ps : en plus on pourra crier partout qu'on est bénévole puisqu'aucun salaire n'aura été versé par Iglobuzz society… mais plutôt en douce par Tampix. Toute ressemblance avec une ONG bien connue est bien évidemment fortuite.

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