Le livre de Gary Elkerton débute en l’an 2000 sur le spot de Lafitenia à Saint-Jean-de-Luz, là où il a enfin remporté le titre de champion du monde de surf qui le fuyait depuis tant d’années (vidéo ci-dessous). Dans cette autobiographie sans concession, Gary Elkerton s’engage autant qu’il le fait sur les vagues pour parler des hauts et des bas de sa carrière. Il ne cache pas ses démons et apporte son témoignage éclairé sur les ravages de la drogue dans le milieu du surf de son époque jusqu’à nos jours. C’est peut-être ce qu’on a pu lire de plus honnête sur ce sujet encore tabou. Extraits:

« En 1983, ce que j’appelais ma maison était habituellement le canapé chez quelqu’un d’autre car – malgré tous mes succès récents – mes 750$ mensuels étaient toujours mon seul revenu. Mais je ne m’en plaignais pas ! Cela me permettait d’acheter un minimum d’herbe et de bières, et il me restait un peu d’argent pour mettre de l’essence dans la voiture que mon père « Bull » avait eu la gentillesse de m’acheter. Il ne me restait plus rien pour les hôtels ou les campings. La cocaïne et d’autres luxes étaient habituellement gratuits, ce qui n’était pas plus mal, car j’avais découvert que les drogues me manquaient quand je passais trop de temps sans elles.

J’ai passé beaucoup de temps dans une ferme du Mont Woodgee sur les hauteurs de la Gold Coast. (…) C’était l’endroit le plus idyllique pour un surfeur. Depuis un hamac devant la maison, tu pouvais voir les tubes des vagues qui déferlaient en contrebas à Kirra, Greenmount, Rainbow Bay et Snapper Rocks. (…) L’un des charmes du Mont Woodgee était qu’il n’y avait pas de drogues dures là-bas. C’était une oasis de tranquillité perchée en hauteur, au-dessus du côté malsain qui se cache sous le vernis des quartiers touristiques. Les « démons » déchiraient alors le monde du surf – et plus spécialement sur la Gold Coast en 1983 et 1984.

Les policiers avaient fait du très bon boulot contre le trafic de cannabis. Dommage qu’ils n’aient pas été aussi efficaces contre l’héroïne qui est devenue moins chère et plus largement utilisée car la demande était renforcée par l’absence d’herbe. Alors que la première vague d’ « héro » avait fait des ravages sur la Gold Coast dans les années 70, la vague du début des années 80 fut tout aussi destructrice.

Autant j’aimais me relaxer au Mont Woodgee, autant j’étais souvent en train de faire la fête en boîte de nuit, de faire la tournée des bars, de me battre, et de draguer de Coolangatta à Surfers Paradise. J’ai pris de la cocaïne et du LSD partout où je pouvais en avoir, et je pouvais en trouver partout.

Les carrières de tant de surfeurs prometteurs de la Gold Coast ont été ruinées. Pire, leurs vies étaient gravement en danger. J’ai eu assez de chance pour passer au travers de ça. Ce qui m’a sauvé est que je me suis abstenu de toucher à l’héroïne qui me faisait peur: plus que ma répugnance à être sous sédatif, c’étaient les effets visiblement destructeurs de la drogue qui me rebutaient. Mon rival en junior et ami Craig Walgers est passé de véritable champion de surf à toxicomane torturé physiquement en l’espace de trois ans. J’ai perdu un vrai camarade et un frère quand il est mort renversé par une voiture alors qu’il était sous l’influence de l’héroïne en 1984. (…) Je ne peux m’empêcher de penser à lui sans être rongé par la culpabilité et par l’immense frustration d’un énorme gâchis.

Il est ridicule de penser que nous surfeurs – moi le premier – sont prompts à blâmer l’héroïne comme si la drogue en elle-même était le meurtrier. Nous nous plaignons de cette saloperie d’héroïne, pendant que nous nous explosons avec l’alcool, le cannabis, la cocaïne, le LSD, le speed, l’ecstasy ou tout ce qui vient à nous.

Les surfeurs ne jugent pas, ils ne jugent jamais. Nous autorisons aux gens la « liberté » de leurs habitudes. C’est soit une attitude sensée, soit complètement immature. Au bout de plusieurs années, je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse.

Les contradictions sont la norme. On peut difficilement faire plus sain pour le corps et l’esprit que l’acte de surfer en lui-même. Et pourtant, de nombreux surfeurs qui vont adopter un mode de vie très sain en faisant des trucs comme du yoga ou en devenant végétariens, prennent des mélanges chimiques quand l’envie leur prend. Un surfeur pro pourrait entraîner son corps jusqu’à approcher la perfection, mais il ne pense à rien d’autre qu’à polluer son système avec toutes sortes de merdes qui perturbent l’esprit et l’humeur.

Je suis à blâmer tout autant que les autres pour être tombé dans la culture persuasive de la surconsommation de drogue et d’alcool. Personne n’a dit à Craig Walgers combien il était inquiet à propos de lui, juste parce que ça ne se fait pas d’interroger quelqu’un sur sa capacité à gérer ses « habitudes ». C’est stupide, mais un surfeur honnête te dira que c’est le summum de l’impolitesse, et ne pas être cool du tout, que de questionner quelqu’un sur sa consommation de drogue ou d’alcool. Les gens en parlent très rarement.

Les effets secondaires sont un problème strictement personnel. Dans l’agitation de la fête et du surf, trop peu d’entre nous s’arrêtent pour s’intéresser à la santé de leurs amis. Nous sommes tous invincibles. Il faut charger sur l’eau, il faut charger sur terre.

Le monde du surf déborde de personnes qui font face en privé à une multitude de soucis émotionnels, mentaux, physiques et financiers causés par l’imbrication du sport avec les drogues. Cela concerne aussi bien le vieux shaper tellement parano qu’il ne peut quasiment pas fonctionner sans son joint le matin, que le cadre du surf business avec sa consommation de cocaïne à $100K, en passant par le surfeur pro qui prend de fortes doses d’oxycodone, le gamin qui prend des pilules avant de waxer sa planche. Et même le champion de surf semi-retraité qui a du mal à contenir ses envies compulsives. Comme moi.

Qui leur dit, qui nous dit, d’arrêter ? Mais à côté de ça, quel surfeur n’enverra pas chier quelqu’un qui va lui dire comment il doit se comporter ? Si cette énigme culturelle reste non résolue aujourd’hui, quel espoir pour une intervention ou des conseils pouvait bien avoir Craig Walgers en 1984 ? La communauté du surf, y compris moi, ne nous sommes pas occupés de Craig autant que nous aurions pu.

Peu de leçons ont été apprises au fil des années. En tant que surfeurs, notre conscience collective est bloquée à une réalité où nous avons créé une culture de l’usage de la drogue qui s’auto-protège et qui s’auto-perpétue. Les drogues sont montrées du doigt quand quelque chose va mal. Notre « fraternité dans la liberté » du surf n’a rien à voir là-dedans. Laissons faire. Ne critiquons pas le choix des autres, man !

Il y a bien eu des efforts superficiels pour tester au hasard les drogues récréatives dans le surf pro ces dernières années. Mais rien n’était légalement contraignant. J’ai refusé de tels tests. S’il y avait eu des contrôles obligatoires comme ceux de l’Agence Mondiale Antidopage quand je suis entré dans le sport du surf, j’aurais eu à choisir entre un mode de vie de drogué et une carrière professionnelle; une combinaison facile des deux n’aurait pas été possible. Je suis certain que j’aurais choisi le surf. Je suis également sûr que j’aurais fait des erreurs et aurait pris de mauvaises habitudes sur le chemin. Mais elles n’auraient pas été ignorées ou – pire – célébrées. (…)

Ensuite il y a le problème des produits qui augmentent la performance comme les stéroïdes, les hormones, l’EPO et autres. Tu sais, le genre de substances utilisées pour tricher en cyclisme et en athlétisme… En l’absence de tests de référence rigoureux, comment être sûr qu’aucun surfeur pro n’en utilise ? (…)

Tu n’entendras jamais parler candidement des drogues de la part de personnes qui sont tributaires des retombées financières qui se comptent aujourd’hui en milliards de dollars générés par le business du surf. C’est malheureux mais totalement compréhensible, vu les réalités commerciales. L’industrie doit projeter le surf et les surfeurs dans le marché global hyper-concurrentiel des vêtements de loisir d’une manière contrôlée. Après tout, si Maman achète un sweat à capuche à son petit Johnny, est-ce qu’elle va acheter la marque de sport utilisée par les meilleurs footballers, ou va-t-elle acheter la marque de surf portée par des sportifs réputés pour leur propension à se droguer ? Les enjeux sont importants.

Bien sûr, tu entendras parler des surfeurs connus qui boivent et qui « font la fête ». C’est bon pour le business. Ce que nous faisons est fun, ce qui est totalement en phase avec les stratégies des marques pour les jeunes. Ce sont les détails de cette « fête » que l’on regardera moins. (…)

Je serai peut-être considéré comme le surfeur le plus hypocrite de tous les temps à cracher ainsi dans la soupe qui m’a nourri pendant tant d’années… Mais il me serait impossible d’être honnête sur ma vie sans parler de ce problème. Je serais damné si je mettais un voile sur moi-même ou sur le sport que j’aime, juste pour être sûr de continuer à avoir des lunettes et des maillots gratuits. (…)

L’un des moments les plus noirs de l’histoire du surf pro fut la mort tragique, bouleversante d’Andy Irons. Un surfeur et un compétiteur incroyablement doué. Une personne incroyable, gentille, attentionnée et attachante, respectée et aimée par tous ceux qui le connaissaient. Un multiple Champion du Monde, adoré par ses fans dans le monde entier. Mais également, une personne bien connue dans les cercles du milieu du surf pour avoir eu à lutter contre des addictions à la drogue et à l’alcool. Qu’il ait trouvé la mort, seul, alors que l’on savait qu’il n’était pas bien est extrêmement triste. « Blâmer » n’est pas la réponse appropriée, bien sûr. Personne n’est à blâmer. Personne en particulier. Mais il y a une honte sur nous tous, dans un sens, à cause de notre culture en surf de la liberté et de l’acceptation passive.

J’ai eu des problèmes similaires à ceux d’Andy à différents stades de ma carrière quand j’étais sous le feu des projecteurs. J’ai eu la chance qu’il y ait toujours quelqu’un avec un oeil sur moi. Ou j’aurais pu facilement mourir de la même façon, spécialement en 1985. A l’évidence, quasiment rien n’a changé entre mes overdoses en 1985 et la mort d’Andy en 2010. (…)

Si le sport, l’ « industrie » du surf et sa culture n’ont pas le courage collectif de se confronter à leurs démons suite à la disparition d’Andy, elle ne méritera alors pas plus de respect que son statut de petit club fermé qu’elle a maintenant. Il y a des gens bons, bien intentionnés, investis aux niveaux administratif, managérial, et commercial dans le sport. Il y en a toujours eu. Il ne manque plus que la bonne expertise et un élan nécessaire pour le changement dans la bonne direction. Je suis persuadé qu’on peut remédier aux lacunes structurelles, opérationnelles et culturelles, mais cela nécessitera qu’il y ait des gens réalistes et braves pour mettre les changements en route ».

Gary Elkerton dans le livre: « Kong – The life and times of a surfing legend« .

Ce témoignage est à placer dans le contexte actuel où Kelly Slater vient de remettre en cause l’efficacité des contrôles anti-dopage mis en place par l’ASP pour s’attaquer véritablement aux problèmes des surfeurs professionnels avec la drogue.

A propos de l'auteur :

Surf Prevention est le site sur le Surf, la Sécurité, la Santé et l'Environnement.

 

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5 Commentaires

  1. incognito dit :

    super extrait, qui donne bien une vision globale…
    bravo au Kong de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.

  2. Boogie Mate dit :

    Voilà un bon pavé dans une mare pleins d’hypocrisie. Comme dans le skate ou autre sport de glisse, il ne faut pas se cacher que la drogue fait partie de la culture.
    le problème dans le surf est qu’effectivement certains comme AI vont trop loin et personne n’assume ses mœurs. Elko résume tout ça très bien.
    A mon avis, les contrôles antidopage ne sont pas solutions. Il faudrait plutôt penser à une dépénalisation avec taux limités pour pleinement laisser libre choix dans un sport où la liberté est une valeur.
    Si on veut pousser la comparaison à son paroxysme: est-ce-que vous imaginez faire des contrôles anti-dopage à des acteurs de cinémas?

  3. Marc dit :

    Bravo Garry pour ton courage ,tout les anciens le savent que tout est verrouillé par le cercle fermé du business du surf .

  4. debz dit :

    Respect Gary!

  5. Sans rapport quoi que…
    Miki Dora, génie du surf et de l’arnaque de Malibu à Guéthary, découvrez sa biographie par Alain Gardinier , sortie 28 Juin 2013

    http://www.atlantica.fr/livre/11356/Miki_Dora

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