La grippe A et le ras-le-bol des médecins généralistes français
La menace d’une épidémie de grippe A / H1N1 fait déployer tout un arsenal de mesures spectaculaires. On nous montre à la télévision les patients pris en charge par des médecins urgentistes du SAMU habillés en tenue de cosmonautes qui hospitalisent les patients suspects dans les chambres d’isolement high tech de l’un des meilleurs hôpitaux parisiens.
Pourtant, si l’épidémie venait à s’étendre, les hôpitaux seraient instantanément embolisés et la prise en charge des patients reviendrait vraisemblablement aux « petits soldats » de la médecine de premier recours : les médecins généralistes (dont je fais partie) qui se rendront au chevet des patients.
Croyez-le ou non, je n’ai pour l’instant reçu aucune consigne de la part du Ministère ou de la Direction Générale de la Santé (je vérifie pourtant ma boîte mail régulièrement).
Ce soir, un médecin généraliste peut très bien être appelé au chevet d’un patient potentiellement porteur du virus : il s’y rendra avec sa b… et son couteau (passez-moi l’expression) car on ne lui a toujours pas fourni de masques de protection FFP2 ni même d’antiviraux. Les généralistes sont pourtant en première ligne pour être contaminés et transmettre le virus à leur famille ou à leurs patients.
Ce nouvel oubli des médecins généralistes est peut-être la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Lassés d’être les parents pauvres du système de santé alors qu’ils en sont le pivot central, des généralistes ont écrit à Roselyne Bachelot. Je me joins à mes confrères dans leurs inquiétudes et leurs revendications.
Dr Guillaume Barucq.
Voici le texte intégral de cette lettre ouverte du syndicat Union Generaliste :
Madame la Ministre,La grippe A H1N1 mobilise à juste titre tous les systèmes de santé et leurs responsables.
On sent bien que devant le danger de la contagion vous allez redécouvrir la place des médecins généralistes libéraux auprès des leurs patients sur tout le territoire français. Peut-être à cette occasion vous apparaîtra pleinement la médiocrité des moyens mis à leur disposition pour accomplir leur tâche au quotidien.
Avec 2.9% des 200 milliards d’euros consacrés à la santé ils sont les pivots du système de santé et ont la charge de la permanence des soins sur tout le territoire. Pour comparaison, la gestion de la sécurité sociale consomme à elle seule le double de cette somme.
Plus grave encore: tant au niveau de la permanence des soins que dans toute autre mission de service public où ils sont conviés de gré ou de force, ces médecins ne sont couverts par aucune assurance réelle et identifiable. Dans le même temps ils encourent un risque médicolégal maximal et sont l’objet de violence parce que seuls et vulnérables.
Madame la ministre de la santé, pour vous la tentation va sans doute être grande, tout à l’heure ou demain matin de remettre à l’honneur la visite à domicile que vous avez jusqu’ici combattue pour des raisons économiques.
Vous savez sans doute que les petits soldats généralistes sont armés d’un kit grippe aviaire périmé et n’ont même pas accès, dans la pharmacie la plus proche, à une boîte d’antiviral. Ils savent que vous avez dans vos cartons de grands plans de mobilisation dont ils ont été et sont toujours tenus soigneusement éloignés.
On pense pour eux en haut lieu. Cette situation symbolise la place des médecins généralistes dans le projet santé du ministère, mais aussi témoigne de l’estime des pouvoirs publics à leur égard.
Comment allez vous mobiliser de nouveau ces petites mains du monde de la Santé ? Allez-vous leur rappeler leurs devoirs de médecin ? Leur relire le serment d’Hippocrate ? Allez-vous lancer à leurs trousses les procédures CPAM des contrôles punitifs ? Allez-vous multiplier les réquisitions préfectorales ? Peut-être un C (une consultation) «généreusement» porté à 22.50 euros dès le mois de juillet 2010 ?
Madame la ministre, l’époque est propice à une mise en lumière de l’atrophie conceptuelle dont souffre le futur de cette profession. Le monde hospitalier se taille la part du lion dans un budget santé à enveloppe constante avec un argumentaire électoral sans faille.
Ce soir, demain, après-demain, vous voulez des médecins généralistes disponibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, infatigables, économes et n’ayant besoin de rien pour continuer à répondre aux questions de santé des électeurs. Le mouvement perpétuel remis à l’honneur dans le maillage territorial pseudo libéral de la santé.
Madame la Ministre de la santé, le récent rapport de l’OMS demande aux politiques un investissement massif sur les soins primaires. La loi HPST semble ignorer la réalité économique de la médecine générale et se contente d’inscrire ses missions sans en donner les moyens.
Les médecins généralistes ne veulent pas disparaître. Cette épidémie va démontrer leur nécessité vitale. Vous avez une dernière occasion de valoriser la médecine générale.
Madame la Ministre ne la ratez pas.
2 Commentaires
Bien dit !!
Une réunion d'information des représentants des médecins libéraux sur la grippe A (H1N1) sera organisée mardi matin au Ministère de la Santé, a-ton appris aujourd'hui dans un communiqué.