Les surfeurs locaux ont pris des mesures radicales pour préserver leur spot de Salina Cruz au Mexique. Après l’annonce d’une interdiction aux médias fin 2011, ils ont décidé de contrôler les conditions d’accès au spot en proposant d’acquitter un forfait pour les surfeurs sponsorisés accompagnés de photographes, et de faire participer tous les autres surfeurs étrangers.
Le Mexique est un cas d’école du développement touristique lié à la médiatisation d’un spot. Ce fut le cas pour Puerto Escondido ancien port de pêche devenu destination touristique mondialement connue. On se souvient tous de cette droite fabuleuse découverte à l’occasion du Rip Curl Pro Search 2006 : même si le concept était de garder l’endroit secret, le spot de Barra de la Cruz n’avait pas tardé à être identifié. Comme le déclarait Steve Pezman, fondateur du Surfer’s Journal, les publications dans les magazines mettent les spots en danger. Et Internet avec les live webcasts et les réseaux sociaux ne font qu’accentuer le phénomène.
Pour garder la main sur leur spot et ne pas subir son exploitation médiatique et touristique, les locaux de Salina Cruz dans l’état de Oaxaca ont donc pris des mesures draconiennes. Celles-ci ont été décidées en réaction à un article paru dans le Surfing Magazine de Novembre 2011 intitulé « The Life and Times of Salina Cruz: A Pointbreak Sensation » qui comparait de manière imagée le spot à une fille facile devenue starlette en un temps record.
Voici une interview de Cesar Ramirez, premier surfeur local de Salina Cruz, et instigateur de ce mouvement qui explique ses motivations :
– Salina Cruz est dans les mags et les vidéos depuis 2004. Qu’est-ce qui a fâché tout le monde et a entraîné la proposition d’interdiction des medias pendant 2 ans ?
Cesar Ramirez : La façon dont ils ont écrit cet article était inappropriée. Ce n’était même pas une histoire. Je ne sais pas ce que c’était. Mais cet article montrait Salina Cruz comme quelque chose de facile d’accès pour n’importe qui. Et ils n’ont pas donné le point de vue des gens du coin. Ils en ont fait une fiction – c’est ce qui a le plus énervé tout le monde. Ils ont évoqué « un gars délirant qui essaye de protéger le spot. » C’est ce qui a offensé tous les surfeurs locaux car nous avons pris soin de l’endroit, nettoyé les plages, essayé de maintenir de l’ordre pour que cela ne devienne pas un cirque. Il y a de plus en plus de monde chaque année mais l’ordre règne. Tu peux surfer, tu peux avoir des vagues. Ce n’est pas comme d’autres endroits dans le coin (je ne veux pas donner de nom). Ici il y a du respect…les locaux et les invités partagent des vagues.
– Quelle a été ta réaction à cet article ?
J’avais envie de vomir. Ils nous ont manqué de respect et personne n’a voulu dire qui avait écrit ça. C’est pourquoi j’ai envoyé un email à tout le monde – tous les magazines, les gens qui travaillent dans le surf business, les photographes, les surfeurs pro, les vidéastes, les journalistes, les éditeurs, tous ceux dont j’avais l’adresse mail. « Tu sais quoi ? Quelqu’un a fait quelque chose de mal et maintenant vous allez payer pour ça. » Et nous les avons interdits car ils exploitaient l’endroit comme des fous. Si nous ne leur avions pas demandé de nous respecter, ils auraient continué à agir de la sorte. Si nous n’avions pas arrêté le premier, un autre magazine aurait fait la même chose.
– Peux-tu expliquer le mail que tu as envoyé en septembre dernier ?
J’ai commencé avec la fin de l’article qui disait que nous étions des gars déconnectés qui essayent de protéger Salina Cruz. Depuis 2004, nous avons travaillé avec les magazines. Les pros se font payer plus s’ils ont une bonne photo, ils la publient dans un magazine, le magazine se fait de l’argent avec les annonceurs publicitaires et nous ne leur avons jamais rien demandé. Nous faisons notre travail ; ils nous payent. Nous ne les importunons pas, nous ne leur demandons pas de planche et nous ne leur disons pas « donne-moi ci, donne-moi ça ».
Mais après cet article, tout le monde a vu rouge et a dit « plus de photographes » car ils profitent de cet endroit. Alors nous avons décidé de créer une association. Au départ, nous avons dit que nous ne voulions aucun appareil photo. Mais comme certains surf camp travaillent beaucoup avec des pros, ils ont insisté. Après des réunions, nous avons dit : ‘OK, s’ils veulent venir ici, ils auront à payer pour photographier Salina Cruz.‘
– Et où ira l’argent ?
L’argent n’est pas pour nous. Nous allons l’utiliser pour réparer des routes autour des spots où il y a des villages. Quand il pleut, ces villages connaissent des inondations et les gens n’ont plus accès à l’autoroute. Parfois même l’autoroute est touchée et les habitants sont coincés dans leurs villages pendant des semaines. Également pour les enfants dans les écoles ; parfois ils n’ont même pas l’argent pour acheter leurs uniformes et les fournitures. Nous irons dans les écoles et nous les aiderons. Nous nous entraînons également pour obtenir un diplôme de sauveteur et nous allons avoir une tour sur chaque spot de surf fréquenté, car le gouvernement ne pourvoie pas les services de surveillance des plages. Avec cet argent, nous allons donner un salaire à ceux qui veulent surveiller les plages. C’est là que nous allons placer l’argent que nous demanderons aux medias pour faire des images ici. Sinon, s’ils ne veulent pas, ils pourront aller ailleurs.
– On pourrait faire remarquer que les magazines de surf faisaient déjà appel aux services de guides locaux et dormaient dans des surf camp quand ils venaient, cet argent profitant ainsi à l’économie locale, et aidant également à promouvoir le tourisme à Salina Cruz.
Oui, mais nous en avons déjà assez. Même sans les magazines, nous avons déjà suffisamment de travail.
– Si un photographe professionnel veut venir à Salina Cruz pour prendre des photos, que doit-il faire ?
Il y a deux options. Dans chaque pays, il y a une ambassade du Mexique ou un Consulat et ils peuvent vous délivrer un permis de travail. Ou alors, sans ce permis, notre association locale va mettre en ligne un site Internet et vous pourrez nous envoyer un mail pour dire que vous viendrez à Salina Cruz prendre des photos pour le travail, pour une société, pour des pros ou pour un groupe de surfeurs. L’association vous donnera une preuve de paiement que vous pourrez utiliser. Le nom officiel de notre association civile est « United Surfers and Lifeguards of Salina Cruz« . Elle compte 33 membres dont plus de 16 travaillent comme guides ou tiennent un surf camp. Nous sommes environ 30 surfeurs locaux de Salina Cruz. Les autres membres travaillent à la raffinerie, dans un magasin ou dans la Marine.
– Comment l’association s’est-elle constituée ?
Nous avons demandé au conseil municipal la permission de monter cette association. Nous sommes allés chez le notaire, nous sommes allés aux Affaires Etrangères, et nous avons maintenant une association légale qui a des droits et des devoirs. Nous travaillons également avec les lifeguards et les pompiers de l’état de Oaxaca.
– Disons que je suis un photographe australien qui voyage avec un groupe de surfers semi-pros qui ne sont pas forcément Mick Fanning. Que se passe-t-il si je sors mon appareil et que je commence à photographier les surfeurs dans l’eau ?
Il y a trois options.
Une : tu engages un surfeur local qui peut prendre les photos et le payer à la semaine, à la journée… et tu aides ainsi les familles.
Deux : tu t’enregistres auprès de notre association. Nous avons eu un vote la semaine dernière et nous avons décidé d’une indemnité équitable. Nous n’avons rien à faire que vous soyez le photographe de Kelly Slater ou celui du nouveau surfeur pro, les photographes qui ne sont pas Mexicains auront à payer 800 dollars à l’association. Ni plus, ni moins, juste $800. Mais s’ils ne veulent pas donner l’argent, ils peuvent nous apporter pour la même valeur de matériel de sauvetage, car nous avons à peine des palmes.
Trois: Si tu décides que tu ne veux pas payer et que tu vas quand même faire tes photos… nous ne sommes pas agressifs; nous ne sommes pas des gens bagarreurs. Nous irons aux services de l’Immigration, nous ramènerons un officier et le photographe devra lui montrer son permis de travail au Mexique. Si tu l’as, tu peux prendre des photos.
– Donc, cela veut dire que les médias ne sont plus interdits ?
Plus d’interdiction des médias tant qu’ils paient ou participent.
– Que se passe-t-il pour les surfeurs de passage qui ne sont pas avec un guide local ?
La zone n’est que sable et dunes. Il n’y a pas de restaurant sur la plage, d’hôtel ou quoi que ce soit. Les seules choses que tu vas trouver sont les vagues et nous. Personne d’autre ne va là, même pas l’armée. Donc quand quelqu’un se pointe dans une voiture de location, nous lui disons : « C’est une bonne chose que tu sois là mais tu dois employer un guide local. » Cela s’applique uniquement pour les étrangers et pas aux Mexicains quelle que soit leur provenance. Le truc c’est que… si nous laissons tous les gens venir, il y aura 50, 60 types à l’eau. C’est la seule manière de contrôler la foule.
– Comment vois-tu Salina Cruz dans 10 ans ?
Cela va être difficile. Salina Cruz se développe à une vitesse folle. Ces 4 dernières années, ils ont construit une autoroute, un tunnel et maintenant ils construisent un centre commercial gigantesque. Il y a 5 ans, c’était déjà une grand village et maintenant c’est comme une grande ville avec la circulation et tout ce qui va avec.
Pour l’instant, toute cette croissance urbaine est du côté de la ville. Mais la côte va commencer à se développer dans les 3 ans à venir. Il y a un projet du gouvernement de construire sur le front de mer à côté de la jetée. Ils ne toucheront pas à la jetée mais ils ont déjà construit un parc aquatique sur cette route. Et ils vont continuer à réparer et à enjoliver pour les touristes mexicains. Ils auront des hôtels et des restaurants sur la plage et cela va s’étendre.
Donc si nous ne sommes pas organisés, ils feront ce qu’ils voudront. Notamment en ce qui concerne les ordures ménagères et les bâtiments sur les terres humides. Mon frère* est en charge du versant écologique de l’association et il surveille si une marée noire survient car nous sommes en première ligne pour nous en rendre compte…parce que les pêcheurs ne peuvent plus travailler.
En 10 ans, Salina Cruz va grandir, mais nous espérons qu’elle grandira harmonieusement. Et pour cela, nous avons besoin de l’Association pour travailler et des surfeurs de passage pour nous aider. Il y aura peut-être des gens qui ne seront pas satisfaits de la manière dont nous procédons, mais j’espère que tout le monde se joindra à nous. Cela aidera Salina Cruz. Autrement, ce sera un grand désordre.
*Cesar Ramirez et son frère David — ont monté le premier surf tour dans la zone ; depuis 3 autres surf camp sont apparus à Salina Cruz, et quelques surfeurs jouent le rôle de guides.
Traduction de l’article de Mike Cianciulli paru sur Surfline.com le 19 Avril 2012 : http://www.surfline.com/surf-news/southern-oaxaca-update_69344/
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