A l’occasion de la sortie de son livre « L’Image de la surfeuse: miroir aux Alouettes » aux éditions L’HARMATTAN, nous avons interrogé l’auteur Taha Al Azzawi sur l’image du surf féminin renvoyée par les marques et les médias. L’auteur nous livre son analyse dans cet ouvrage de 232 pages, à partir d’entretiens réalisés au Pays Basque, Charente-Maritime et en Vendée.

Pouvez vous vous présenter aux internautes de Surf Prevention ?
Taha Al Azzawi: On pourrait d’abord penser que je suis légitime pour écrire sur le surf car je suis originaire de Charente Maritime, pratiquant depuis plus de vingt ans, et également shapeur amateur ; mais ce ne sont pas des critères recevables scientifiquement. J’ai avant tout une formation intellectuelle de professeur Agrégé d’Education Physique et Sportive, ce qui me donne une double connaissance des activités sportives : à la fois technique et pratique par le milieu professionnel, mais aussi historique et scientifique . Par ailleurs, titulaire 5 ans à la Faculté des Sciences du Sport de Limoges, j’ai profité de ce temps pour reprendre des études en Sociologie. J’ai alors choisi l’univers du surf comme terrain d’enquête et de recherche pour deux mémoires de Master, sur la côte Altantique française. Le fait d’être pratiquant m’a bien sûr aidé à entrer dans le milieu fédéral ou à aborder des « free surfeurs » qui affectionnent la pratique informelle, car selon les estimations de Francis DISTINGUIN (ancien DTN pendant 17 ans), il y a neuf pratiquants libres pour un licencié en France.

Parlez-nous de votre dernier livre « L’image de la surfeuse ».
Ma démarche de chercheur est, comme pour la plupart des personnes qui s’acheminent vers une thèse, une quête de plus en plus spécialisée : j’ai d’abord pris l’univers du surf par une entrée assez large : établir une sociologie des pratiquants en France. En effet jusque là plusieurs thèses ont approché le sujet, mais sous d’autres angles (Christophe GUIBERT pour les politiques locales liées au surf, Anne-Sophie SAYEUX pour la pratique hors fédération). Cette première recherche donnera d’abord un document universitaire de 500 pages, qui aboutira sous la forme d’un livre aux éditions Atlantica en 2009 (« Les surfs : d’une pratique à la mode à des modalités de la pratique»). Puis j’ai poursuivi mes recherches pour un second mémoire en prenant une focale plus resserrée : celle de l’usage médiatique de l’image de la surfeuse, qui supposait aussi d’étudier en amont la féminisation de la pratique. Or j’avais été sollicité par EUROSIMA à ce sujet pour une intervention à l’EUROSURF SUMMIT de juin 2010.
Basé sur un cadre théorique empruntant à la fois à la sociologie du genre, à la sociologie de la publicité et à l’analyse iconographique, mon travail de recherche a croisé des enquêtes ethnographiques de terrain (notamment lors du ROXY JAM FESTIVAL de 2009), et un travail de sociologue en rapport avec les publications récentes en sociologie du sport féminin (C.LOUVEAU, C.MENESSON, C.OTTOGALI-MAZZACAVALO). Cet ouvrage aide à replacer l’image de la surfeuse dans un contexte plus global, celui de la femme dans le sport professionnel et amateur, et celui de l’utilisation du corps de la femme dans la symbolique publicitaire.

Comment l’image de la surfeuse a-t-elle évolué au fil des années ?
Cette question est excellente, mais demanderait beaucoup de place afin d’y répondre avec véracité ; si on se limite à l’image de la pratiquante sportive (et non à celle des pin up utiles pour vendre des produits liés au surf) l’étude de l’ouvrage « Surfing Pub » de Gérard DECOSTER offre une bonne synthèse. Les premières traces vers 1900 montrent des femmes systématiquement dans le rôle de l’élève maladroite et fébrile. A part de rares contre-exemples dans les années folles (1920 à 1930), la femme est cantonnée dans ce rôle jusqu’aux années 1970 ; la fin des années 1980 voient apparaître les premiers articles sur des surfeuses professionnelles dans un tout autre registre : celui de la femme sportive et dynamique. L’essor des grandes marques de surfwear féminin et du sponsoring dans les années 1990 aideront à développer cette image d’une sportive crédible dans son niveau de performance et d’entraînement ; certes il y a eu des résistances à l’entrée de la femme dans le surf, mais elles sont strictement identiques à celles rencontrées en football, en boxe ou en rugby. Mais ce qui nous intéresse davantage, c’est qu’elles participent en particulier à l’évolution du regard des publicitaires qui n’utilisent plus de la même façon le corps de la femme dans la symbolique des campagnes pour des produits liés au surf. Les femmes n’y figurent plus uniquement comme objet de désir, sirène étendue sur la plage ou repos du guerrier.

Qu’avez-vous pensé de la polémique autour du teaser du Roxy Pro 2013 ?
Le Roxy Pro est un univers que je connais pour l’avoir pris pour terrain d’enquête sociologique en 2009, autant du côté sportives que du côté organisateurs et public ; après avoir visionné le teaser, il est important de le replacer dans son contexte de fabrication.
Tout d’abord il répond à la commande d’un sponsor fabricant de smartphones, ensuite il est l’œuvre d’un artiste, ce qui le sort d’emblée de la stricte ligne de pensée marketing de Roxy, et de la sphère des professionnels et des fins connaisseurs de l’univers du surf. Ensuite il faut penser aux destinataires de ce clip : il s’agit du très grand public potentiel de ce genre d’évènement de plage destiné à rassembler les masses de touristes estivaux. Par conséquent il fait quasiment l’économie de l’évolution de l’image de la surfeuse depuis vingt ans, car il doit colporter des clichés symboliques afin que ce grand public retrouve les codes usés par les marques dans les années 80 : la surfeuse au corps parfait et à la sensualité sophistiquée, dont l’image se confond avec l’image de la « veuve du surfeur » (petite amie au physique de mannequin qui l’attend indéfiniment sur la plage). En fait ce teaser opère un aller retour permanent entre une image glamour de la surfeuse compétitrice sportive et les poses aguicheuse de la femme « pour surfeur » qui souhaite le séduire à la plage ou qui souhaite rester son élue le plus longtemps possible en entretenant son capital beauté avec un perfectionnisme extrême. Certains cadrages privilégient le postérieur à la fois arrondi et musclé, la finesse des jambes, mais aussi la délicate musculature du dos et des épaules ; cependant la tête de l’héroïne n’apparaît jamais, comme pour rappeler l’un des meilleurs vendeurs depuis trente ans: la firme REEF, qui a basé son succès sur des publicités mettant en scène des femmes aux postérieurs et aux jambes « parfaites », selon les codes de concours de plages rituels dans l’univers des compétitions de surf masculines.
Cette réutilisation de codes publicitaires créés autrefois par des hommes et pour des hommes n’a pu que choquer tous les acteurs et les actrices actuels du monde du surf, en raison du retour en arrière qu’il peut leur évoquer si on connaît bien l’évolution des vingt dernières années pour les femmes. Elles ont à la fois conquis une meilleure place comme compétitrices, pratiquantes, monitrices, comme cadres dans les entreprises du surf business, comme journalistes. Autant des thèmes qui sont d’ailleurs abordés dans mon livre.

Pensez-vous que les choses vont dans le bon sens pour le surf féminin ?
J’interprèterai votre terme « les choses » par la place des femmes dans l’univers du surf, comme pratiquantes ou comme actrices de l’industrie et des médias liés à cette activité à haute valence symbolique. Je pense que cette place a eu du mal à exister en France mais aussi à l’étranger, car les résistances à la féminisation du surf se sont également exercées en Australie ou aux USA. Les femmes ont dû lutter afin de devenir crédibles sur le plan sportif et de bénéficier d’un matériel adapté, de sponsors et de médias relayant leurs exploits sportifs. Mais paradoxalement le revers de la médaille depuis dix ans se traduit par un contrôle très aigu de leur image et un travail sur cette dernière afin de la rendre aussi glamour que possible, car les retombées publicitaires des ventes d’articles féminins représentent un pourcentage bien plus élevé que celui des produits masculins pour les grandes firmes dominant le marché. Ces stratégies commerciales ont ramené les surfeuses à renvoyer une image séduisante de leur corps, avec des codes parfois discrets car photographiés et mis en scène par des femmes, parfois plus racoleurs quand ce n’est pas le cas. Les surfeuses de haut niveau actuelles ont presque à apprendre en plus de leurs qualités de compétitrices un rôle d’ambassadrices de charme de leur sponsor. Celles qui y montrent des prédispositions dès treize ou quatorze ans ont d’ailleurs bien plus de chances de décrocher un sponsor qui les aidera à acquérir l’entraînement drastique nécessaire pour percer à niveau mondial.

En conclusion certes la femme a gagné une plus grande place dans l’univers du surf, mais elle est obligée dans ce droit d’entrée de composer avec le grand cirque médiatico-économique du sport de haut niveau, en louvoyant entre son identité de sportive et son identité d’objet du désir masculin, comme si le désir érotique n’était jamais loin du désir de consommer. Par conséquent l’évolution permet actuellement aux femmes de figurer sur la scène sportive, mais dans des conditions qui ne lui donnent par encore l’équité au niveau de gains lors de grandes compétitions, ni l’équité dans la possibilité d’apparaître très librement dès qu’elles sont face aux médias. Pour elles, peut-être qu’on leur demande, comme sur le marché du travail, encore plus : à la fois athlètes et mannequins sous peine de ne plus avoir de sponsor ? Le doute est permis…

A propos de l'auteur :

Surf Prevention est le site sur le Surf, la Sécurité, la Santé et l'Environnement.

 

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3 Commentaires

  1. rfg dit :

    L’auteur se trompe concernant le teaser du roxy pro. « C’est l’œuvre d’un artiste et d’une demande la marque de telephone »
    C’est faux, pour avoir bosser chez quiksilver à cette période, je sais de quoi je parle. (je ne d’y pas que je l’approuve)
    La volonté premiere de Roxy était de faire du buzz, bad buzz ou non.. La marque souhaitais faire parler de la compet pour la rendre attractive auprès des annonceurs (c’est la qu’intervient la marque de tel, de voiture etc).
    Ces marques n’avaient pas leurs mots à dire quant au contenu, sauf à ce que leurs produits soient mis en valeur. Donc les fesses de stéphanie et no surf dans le clip ne releve que de roxy…

    On peut également polémiquer sur le deuxième teaser du roxy pro hossegor, avec les surfeuses qui surfent des vagues de partout sauf en France…

  2. rfg dit :

    je viens de me relire, désolé pour les fautes, j’ai écris un peu vite sans me relire 🙂

  3. AL AZZAWI Taha dit :

    merci pour ces précisions, il m’arrive aussi parfois de ne pas cerner parfaitement un élément de mon terrain d’étude, duquel je suis assez distant (démarche de sociologue oblige); par ailleurs, les firmes m’ont souvent fermé la porte au nez lors de mes enquêtes nombreuses en Pays basque, pour des raisons de craintes (légitimes) d’espionnage industriel. Il m’est donc parfois difficile de collecter des informations et mes analyses restent plus universitaires que journalistiques.
    cordialement

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