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Antidépresseurs : comment expliquer la surconsommation en France ?

Il se vendrait quelques 65 millions de boîtes d’antidépresseurs par an en France (championne du monde de la consommation !) alors que l’efficacité de ces médicaments est régulièrement remise en question. Une nouvelle étude* vient de révéler qu’ils ne seraient efficaces que pour soigner les dépressions sévères.

Les résultats de cette étude* ont été publiés dans le JAMA (Journal of the American Medical Association). Les auteurs ont repris les données de 6 études incluant 718 patients pour en faire une méta-analyse. La sévérité de l’état dépressif des patients était évaluée à partir de l’échelle de dépression de Hamilton (Hamilton Depression Rating Scale = HDRS).

Les conclusions sont sans appel : pour les patients ayant des symptômes dépressifs légers à modérés, le bénéfice d’un traitement antidépresseur par rapport au placebo serait minime, voire inexistant. L’effet des traitements antidépresseurs augmenterait avec la sévérité de la dépression.

Sachant cela, vous me demanderez pourquoi des millions de patients prennent encore des antidépresseurs pour des « dépressions » légères se manifestant par une légère tristesse passagère, sans aucun signe de gravité, malgré tous les effets indésirables que peuvent provoquer ces médicaments…

Il faut d’abord comprendre que les patients exigent souvent ces traitements au médecin (je le vis au quotidien dans mon cabinet de médecine générale) : « mon partenaire m’a quitté », « ma grand-mère est morte », « j’ai un coup de blues », « docteur, mettez-moi sous antidépresseurs ». J’ai toujours mis un point d’honneur à ne pas me transformer en « dealer en blouse blanche » et à ne prescrire des médicaments psychotropes, dont je connais les effets secondaires, que lorsqu’ils étaient réellement nécessaires. Après avoir consciencieusement évalué l’humeur dépressive de mes patients (ce qui prend du temps), j’en arrive le plus souvent à la conclusion qu’un traitement antidépresseur n’est pas indiqué. Je donne alors des conseils (ce qui prend beaucoup de temps) d’hygiène de vie susceptibles d’améliorer l’état des patients, comme pratiquer une activité physique régulière par exemple. Mais les patients, insatisfaits de ne pas s’être vus prescrire une « pilule du bonheur », vont voir un confrère généraliste moins regardant pour obtenir leur antidépresseur.

Il faudrait d’abord faire comprendre aux gens qu’être triste en réaction à un événement douloureux (décès d’un proche, séparation, licenciement,…) ne veut pas forcément dire être atteint de « dépression ». Mais certains messages entretiennent la confusion dans les esprits. La dépression est une maladie, soit, mais nous ne sommes pas tous atteints par cette maladie. Il nous arrivera à tous, à un moment ou à un autre de notre vie, de souffrir moralement en réaction à un événement de vie sans pour autant que cela ne prenne des proportions pathologiques.

Les antidépresseurs sont encore prescrits larga manu par les médecins généralistes. Les médecins généralistes sont abreuvés de publicités dans leurs revues médicales, des formations médicales sont sponsorisées par des fabriquants d’antidépresseurs et les visiteurs médicaux des laboratoires pharmaceutiques viennent régulièrement nous en vanter les mérites dans des indications de plus en plus larges…

Le Professeur Hélène Verdoux, chef de service en psychiatrie au CHU de Bordeaux (service dans lequel j’ai effectué un stage en psychiatrie) trouve des circonstances atténuantes aux médecins généralistes dans la revue Impact Médecine du 14 Janvier 2010 : « il est facile d’accabler les généralistes en dénonçant le fait qu’ils prescrivent trop d’antidépresseurs, mais quelle autre solution ont-ils et quels moyens leur donne-t-on pour répondre à des gens présentant des symptômes dépressifs ? Qui va réaliser les psychothérapies : les psychologues non remboursés ? les psychiatres souvent inaccessibles ? (…) ».

Les généralistes n’ont pas le temps de bien s’occuper des patients se présentant à leur cabinet avec une « dépression ». C’est grave, et c’est triste à dire dans un pays développé mais c’est comme ça. Rappelons que les généralistes gagnent à peine 10 euros, sur les 22 euros que leur rapporte une consultation, ce qui les place parmi les médecins les moins bien payés des pays développés (ce sont ces mêmes généralistes que l’on accuse de vouloir « faire du fric » ). Que la consultation dure 15 minutes ou 1 heure, c’est le même tarif ! Les médecins sont donc contraints de faire vite pour essayer de gagner leur vie. Comment imaginer dans ce contexte qu’ils prennent le temps nécessaire pour écouter, consoler, conseiller et orienter un patient dépressif ?  Ils se doivent néanmoins d’apporter « une solution » au patient, et la solution de facilité consiste à faire une ordonnance d’antidépresseur. Pour prendre en charge décemment les patients déprimés (et tous les autres…), il faudrait donner aux médecins les moyens de les soigner en leur donnant du temps. Mais le temps, c’est de l’argent. Et comme notre système de santé est entré dans une logique de rentabilisation à tout prix, les médecins devraient avoir de moins en moins de temps à accorder à leurs patients….Lire l’article du Monde : La faible rémunération de l’acte médical lèse praticiens et patients, par Jean de Kervasdoué.

*Référence : Antidepressant Drug Effects and Depression Severity / A Patient-Level Meta-analysis / Jay C. Fournier, MA; Robert J. DeRubeis, PhD; Steven D. Hollon, PhD; Sona Dimidjian, PhD; Jay D. Amsterdam, MD; Richard C. Shelton, MD; Jan Fawcett, MD / JAMA. 2010;303(1):47-53.

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