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Retourner surfer après les attaques de requins à la Réunion, ou pas ?

La dernière attaque de requin à la Réunion ayant fait une nouvelle victime (Eddy Auber à Boucan-Canot) a relancé un débat encore plus passionné que jamais sur les mesures à prendre pour éviter un nouveau drame. Certains pensent qu’il faut capturer les requins, d’autres n’hésitent pas à avancer que le problème ce ne sont pas les requins, mais les surfeurs eux-mêmes, et leurs conduites à risques… Pour savoir ce qu’en pensent les intéressés, nous avons décidé de laisser la parole à Mark, un surfeur qui vit à la Réunion qui s’interroge sur l’avenir du surf dans l’Ouest de l’île par rapport au risque requin.

« Suite à deux tristes actualités abondamment commentées ici dans ces colonnes, il me paraît bon d’exposer un point de vue très simple. Comment appréhender sa pratique du surf dans une zone de l’île historiquement la moins exposée au risque requin, et n’hésitons pas à le dire d’une manière très claire, hyper touristique et à mille lieux d’une inquiétude d’attaque quelconque, si ce n’était une hélice de bateau, et encore.

En février dernier une attaque de requin a défrayé la chronique locale, mais a aussi alerté les pouvoirs publics locaux sur une réalité cantonnée à l’ordinaire dans le sud de l’île et dans toute la zone Nord-Nord-Ouest, en passant par l’Est, jusqu’au Grand Sud Sauvage. Mettez ça sur une carte et on s’aperçoit que cette fameuse bande de 40 km linéaire de littoral surfable de la zone Ouest représente un bien maigre terrain favorable pour les pratiquants d’activités nautiques.

Tourisme, bassin d’emplois, urbanité galopante, petite industrie, commerce, etc.. ont inévitablement obligé la commune de Saint-Paul à revoir ses prétentions portuaires de plaisance à la hausse, par une sévère restructuration de l’ensemble de la zone portuaire de Saint-Gilles. Je rappelle au passage que ce port de plaisance, qui représente un facteur de pollution des eaux de baignade non négligeable, et aussi un appât gigantesque à requin (il n’est pas rare d’en voir circuler la nuit entre deux eaux selon les pêcheurs), jouxte […] le spot des Roches Noires […] qui, hormis le fait de sa surpopulation (jusqu’à plus de 70 personnes au pic le dimanche) se trouve être le spot historique du surf réunionnais (spot précurseur de la plupart des grands champions réunionnais de la discipline; champions de France, d’Europe et du Monde), lui même à peine plus vieux qu’une quarantaine d’années. C’est non loin de là qu’a eu lieu la première attaque qui a plongé la planète surf locale dans la plus terrible des sidérations.

Aujourd’hui il s’agit d’un autre haut lieu historique du surf réunionnais qui est mis en cause, la zone de Boucan Canot, je dis bien zone, vous l’aurez compris, car selon le type de houle un certain nombre de spots peuvent fonctionner plus ou moins bien, ou pas. Si on excepte le Port de plaisance (autre point commun avec le spot de Saint-Leu et de Saint-Pierre) Boucan et les Roches, tout comme les autres spots surfables de la zone Ouest, cumulent un fait aussi naturel qu’inquiétant; le nombre impressionnant de ravines qui s’y déversent dès la plus petite ondée, j’exagère à peine. Le problème n’est pas seulement sanitaire, et malheureusement là où s’arrête l’inquiétude d’un Landais ou d’un Biarrot [par rapport à la pollution] par exemple, commence celle du Réunionnais, à savoir ce qui peut roder dans de pareilles eaux une fois que des pluies diluviennes, et par forcément en période cyclonique, s’abattent sur le territoire, et que des tonnes de sédiments organiques et minéraux troublent la limpidité habituelle de l’eau pour lui donner une couleur chocolat grisé ? La question est de savoir si on y retourne, ou pas ?

Ces deux attaques, dont la seconde a été fatale, renvoient à cette simple interrogation de surfer à nouveau demain, quand ça sera propre. Un élément de réponse existe, il faut pour cela aller du côté de Saint-Pierre, la patrie des droites caverneuses de haute mer; eaux de jetée de port, eaux de côtes déchiquetées, ancien emplacement d’abattoir et de station d’épuration, plus les ravines bien évidemment. Là-bas, pour y avoir vécu et surfé pendant 4 ans, il ne faut pas douter avant d’entrer à l’eau, et encore moins une fois qu’on est au line-up. L’eau y est souvent parcourue de violents courants, souvent colorée, et pas en bleu foncé si je me fais bien comprendre. Là-bas le swell venu de l’Antarctique est brut de décoffrage, ça décoiffe, ça déchausse les dents, et côté requin c’est pas des tendres non plus. Un bodyboarder y a laissé une jambe, il ride encore aujourd’hui.. quelques années plus tard c’est un surfer de 1.90m pour 120kg qui y a laissé son bras, en arrivant sur la plage par ses propres moyens ce fut pour y mourir. Juste auparavant c’était les mêmes riders qui s’étaient battus avec le requin, qui, là, avaient remis le couvert pour sauver leur pote grièvement mutilé. En vain.

Sur les spots du Pic du Diable et de Ti-Paris il est depuis toujours de notoriété publique que les eaux sont fréquentées par des requins, qui s’y reproduisent en masse, rayonnant dans toute la zone de la même empreinte sauvage. Un certain décorum s’y prête, ce qui devrait inciter à plus de réserve, du moins à de la prudence, et d’années en années on s’aperçoit qu’en fait non, les surfers digèrent le truc, font abstraction, et y retournent. Jusqu’à la prochaine et indubitable attaque !

Sur une radio locale, lors d’une libre antenne, un auditeur s’était indigné d’une solution proposée par un ex-dirigeant de la Ligue réunionnaise de surf sur les mêmes ondes, qui préconisait, avançait-il selon l’auditeur, d’éradiquer les requins aux abords des spots de surf, en les pêchant, rien que ça ! (…) Le requin est une espèce protégée à La Réunion, à plus forte raison dans le Parc Marin, qui s’étend jusqu’à 3 km au large des côtes. Alors, demain on fait quoi ? On tente l’aventure de nouveau, même au beau fixe, eau claire et tout ? Dans la baie de Saint-Paul, zone historique de premier plan, ancien débarcadère commercial des premiers français dans l’île Bourbon, venus de la lointaine terre de France, la première vraie plage de sable (noir) avant celle de la zone de Boucan Canot, distante de quelques kilomètres de là, on pratiquait diverses activités nautiques, jet-ski, surf de gros, jusqu’à ce qu’une attaque de requin, en pleine après-midi, emporte un jeune promis à un grand avenir de régate. On stigmatise un élevage de poissons au large, et on en reparle encore aujourd’hui, sans que rien n’ait changé. Et une certaine bouée au large qui ferait office de pépinière naturelle, n’attirant pas que de gentils couples de poissons venus frayer là. Depuis 1989, date ou un surfer fut officiellement tué par une attaque de requin, d’autres cas ont bien sûr fait couler de l’encre, mais jamais dans l’Ouest.

Aujourd’hui je me suis promené sur les spots de Saint-Gilles, histoire de voir un peu si l’interdiction absolue de baignade et d’activités nautiques ludiques sur la côte Ouest était respectée, hé bien il semble que oui. L’eau est marron partout et une houle d’hiver énorme attaque férocement la côte. Un climat irréel flotte. Je me suis arrêté à Ti-Boucan, mon spot préféré, celui que je surfe le mieux, avec lequel j’entretiens une relation fusionnelle depuis si longtemps, où le vrai plaisir se trouve dans le ride de toutes les sections à rejoindre avant qu’elles ne ferment, une sorte de Jeffrey’s Bay en somme, mais en gauche, et en bien moins sublime, mais quand même. Cette vague se travaille, se mérite, ne s’offre vraiment qu’à quelques-uns, et c’est une constatation que je faisais il y a encore peu, la vague semblant venir se lover pile derrière celui qu’elle choisit de prendre sur son dos, et de porter quelques 200 m plus loin pour les connaisseurs, dans un ride hallucinant de speed.

Assis sur le trottoir qui domine le spot, en haut de la dune, à l’abri de l’ombre produite par des filaos dont les hautes futées se balancent doucement au gré d’un vent frais de début d’hiver austral , je me suis posé LA question ultime; « et demain, quand on pourra y revenir, toi que feras-tu.. y reviendras-tu, retourneras-tu jamais à l’eau un jour?« . Les choses se tasseront, comme toujours, la nature même de la question encouragera peut-être quelque études marines qui restent encore à définir, et à financer, mais au fond, chacun attendra que l’autre y aille, et quand il verra que tout le monde y est retourné de bon cœur, ses inhibitions se dissiperont et il ira lui aussi. Il en va ainsi à La Réunion, sans doute comme partout j’imagine, on en reparlera comme d’un souvenir lointain aux contours flous, ce sera arrivé quelque part, là-bas, on ne sait plus très bien où, une sorte de légende urbaine, d’ailleurs on se demandera même si on n’avait pas exagéré à l’époque, était-on bien sûr d’avoir eu affaire à un requin? Toutes ces interrogations ne laissent guère le choix, il n’y en a que deux à faire, ils sont d’une simplicité enfantine et désarmante, il faudra juste être prêt à en payer le prix. Y aller, et risquer potentiellement sa vie dans une région qui n’est plus à exclure désormais des zones d’attaques plus sensibles, le sang à coulé, cette mémoire animale reste.. ou préférer ne plus y aller, ne plus donc risquer potentiellement sa vie, mais cela implique d’arrêter le surf au final. Cruel dilemme. »

Photo : http://www.telegraph.co.uk/news/picturegalleries/picturesoftheday/7543868/Pictures-of-the-day-1-April-2010.html

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