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Une surfeuse anonyme raconte sa symbiose avec l’Océan

Je considère que ce qui fait la qualité d’un blog, ce sont avant tout les commentaires aux articles, plus que les articles eux-mêmes. Il y a maintenant sur le blog Surf Prevention beaucoup plus de commentaires que de posts. Chaque jour, je reçois au moins une quinzaine de commentaires à modérer dont une bonne partie n’est jamais publiée. Beaucoup sont des spams, des trackbacks, des pseudo-commentaires pour faire référencer tel ou tel site, je reçois également de nombreux messages injurieux, hors-sujet ou truffés de fautes d’orthographe. Mais au milieu de ces commentaires, arrive parfois une perle, un témoignage bien plus intéressant que tout ce que je pourrais jamais écrire. J’ai reçu aujourd’hui ce témoignage poignant de Katia, une surfeuse anonyme, en réaction à cet article sur le livre Surf Thérapie et je voulais vous le faire partager. Je ne sais pas si cette internaute est écrivaine mais son style me fait un peu penser à celui de Michel Houellebecq dont je suis en train de dévorer le nouveau roman « La carte et le territoire ». J’aime bien savoir ce que le surf apporte à des surfeurs connus mais ce sont souvent les témoignages de surfeurs anonymes qui sont les plus forts. Voici le témoignage de Katia :

« Si vous lisez ces lignes, c’est que je me serai décidée à envoyer cette profession de foi. Je ne sais pas trop d’où m’est venue l’idée de faire du surf. Je n’avais aucun ami surfeur. Si on se fie aux journalistes, le Cotentin n’est pas réellement une région de surf. Même si je n’y connaissais rien, j’ai toujours voulu faire du surf. C’était en moi , curieux. Alors un jour, j’ai pris mon courage à deux mains. Le mot peut paraître un peu fort mais je n’entreprends jamais rien en temps normal. L’âge avançant, je me suis dit c’est maintenant ou jamais. Les premiers cours ont révélé mes piètres performances, mais aussitôt une satisfaction certaine et un sentiment de fatigue saine sont apparus. Le virus m’avait saisie. Mon niveau depuis est toujours aussi pitoyable et étriqué. Je surfe comme une chenille. Pourquoi une chenille ? Vous avez déjà vu une chenille surfer ! Bref, je suis trop vieille, trop raide, trop cérébrale aussi . Mais c’est ainsi que je me retrouve à l’eau par tout temps : pluie, onshore le plus souvent, froid, neige, vagues limites surfables.

Dans ma région natale, les vagues se font rares et lorsqu’elles pointent enfin le bout de leur nez, elles restent souvent médiocres. Qu’importe pour moi qui ne connais rien d’autre et qui n’ai pas encore voyagé. Cette rédaction va me permettre en tout cas de mettre en mots ce que j’essaye de définir auprès de mes proches qui n’y comprennent rien. Très difficile exercice pour moi qui manque de vocabulaire, de clarté et surtout de style. Mais je ressens en cette période de flat interminable, un mois déjà, la nécessité d’exprimer ce qui m’anime. Moi qui ne partage rien avec les autres ou peu avec quelques uns, c’est étrange. Il m’a paru nécessaire et thérapeutique de définir mes émotions pour désamorcer la crise générée par cette période de surf inexistant. Je l’ai déjà annoncé ci-dessus. Je suis très nulle sur ma planche. Pourtant le surf me procure tant.

Je suis souvent amenée à m’interroger : est-ce que le surfeur expert ressent davantage d’émotions que le surfeur inexpérimenté ? J’ai déjà connu cette sensation de plénitude lors d’un stage d’eutonie. Je n’arrivais pas à lâcher prise lors des exercice au sol mais une fois immergée dans la piscine, c’est comme si je ne faisais plus qu’un avec l’eau. Les animateurs du stage étaient déconcertés et même assez inquiets de me voir refuser de sortir de l’eau tellement je m’y sentais bien. Quelqu’un était venu me faire comprendre qu’il était temps de revenir à la « réalité ». Selon eux certaines personnes en fonction de leur histoire, de leur vécu étaient plus sensibles que d’autres à l’eutonie. Quand je surfe les émotions s’intensifient. Je veux être là et nulle part ailleurs. Alors je lorgne les prévisions, comme les enfants à l’approche de Noël guettent la venue du Père Noël. Enfin les vagues surgissent. Je m’affaire avec une certaine excitation, impatiente de ce qui m’attend. Je m’y précipite comme lors d’un premier rendez-vous amoureux. Je m’empresse d’y aller ne voulant rater pour rien au monde ces vagues. Arrivée au spot, c’est à peine si je prends le temps d’observer le déroulement de ces vagues inespérées. J’enfile à toute hâte ma combinaison et d’un élan salutaire, me jette rapidement à l’eau. Très rapidement, l’excitation laisse peu à peu place à un autre sentiment, bien plus libérateur encore. L’eau me libère des tensions qui m’entravent. Il m’arrive de me retrouver seule à l’eau à des heures inimaginables, un matin d’été et là en regardant autour de moi, je ne vois qu’une immensité rêvée. L’instant magique quasi irréel. L’océan m’appartient ou c’est moi qui fait partie des éléments à présent. Je suis en admiration complète. Je m’épanouis. Je m’imprègne des teintes inoubliables, des murmures de l’air, de l’humidité présente, des ondulations de l’eau, du toucher de l’eau, de l’essence même des choses. Mes sens sont en éveil. Comme si je devais faire de ce moment un instant éternel. Je contemple chaque élément comme si ce serait mon dernier souvenir. Je suis à l’écoute du monde. Troublée, je savoure chaque petite chose. C’est alors qu’un sentiment de plénitude enveloppe toutes ces émotions qui m’ont traversée. Enfin purifiée, libre, libérée des faux semblants, des contraintes absurdes, les verrous sautent. Je lâche pleinement prise. Je me libère de toutes ces tensions qui m’inhibaient. L’océan a ce pouvoir de répandre le bien être en moi. Le temps s’est figé. Un sentiment d’éternité, de symbiose avec l’eau m’est offert. Je sens la satisfaction d’être là et de ne pas rater le moment présent qui s’offre.

Emerveillée, je ressens à jamais la beauté de l’océan. Ma planche caresse doucement l’eau de manière légère et délicate, prolongeant l’instant magique. Je mets en mémoire cette glisse qui me ressourcera au moment venu. Il y a quelques jours, j’ai vu le film Into the wild de Sean Penn. Tout en regardant le film, je me disais. Ce gars a tout compris. Voici la vraie vie. C’est le monde entier qui n’y comprend rien. Et je me surprends à vouloir tout plaquer, à faire comme lui, m’enfuir et vivre enfin loin de cette société de consommation qui se ment à elle-même et qui passe à côté de la vraie vie. La nature pourrait lui révéler le sens même de la vie. Je suis quelqu’un de très égoïste, j’assume. Et je trouve assez étrange d’essayer de vous définir ce que je ressens. Je m’amène à penser que je souhaite faire partager quelque chose. Souvent les surfeurs dans leurs conversations échangent beaucoup, sur leurs sessions, la qualité des vagues qu’ils ont prises. Mais je me rends compte que très peu d’entre eux vont partager leurs émotions. Peut-être est-ce trop du domaine de l’intime ? Quand une session se termine, il est difficile de sortir. Bien souvent c’est le corps qui nous y oblige. Alors je sors de l’eau apaisée, sereine, confiante, détendue, pleine d’envie et ouverte au monde. Malheureusement, depuis le flat s’est emparé de l’océan. Depuis plusieurs semaines, le spleen me ronge de l’intérieur. Au début, on se délecte de ses souvenirs, on se raccroche aux saveurs gardées en mémoire. On revit ces instants par la pensée. Mais ensuite, on étouffe en silence. La mélancolie s’est abattue sur moi et m’emprisonne. Ma vie est entourée de barreaux. Je suis comme un lion en cage, triste, mélancolique, obscure, à fleur de peau , tourmentée. Mon agressivité revient. Je m’isole du monde, des autres, je rejette tout. Mon égoïsme reprend le dessus. Je scrute les prévisions avec désolation. Je me surprends à faire le constat de ma vie. Est-ce la vie dont j’ai rêvé ? Je voudrais fuir vers des cieux meilleurs. Gros blues. L’océan se meurt en moi et murmure à peine. L’attente est intenable. L’océan s’est emparé de moi et hante constamment mes pensées. On peut croire que j’en fais un peu trop. Mais chacun ressent à sa manière. Dernière phase observée, ma raison l’emporte. Je sais que mes pensées négatives s’évanouiront dès que les vagues réapparaîtront. La splendeur des vagues me ramènera enfin à moi. »

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