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Les facteurs de « risque requin » à la Réunion de Boucan-Canot à Saint-Gilles

Surf Prevention continue d’analyser les circonstances des attaques de requins récentes sur des surfeurs sur l’Ile de la Réunion, dont la dernière en date a eu lieu sur un surfeur de 16 ans quelques semaines à peine après le décès du bodyboardeur Eddy Aubert. Nous avons invité différents spécialistes de la question à en parler sur le site. Dans cet article, c’est Christophe Perry*, surfeur, plongeur et pêcheur professionnel local qui nous livre ses constats sur la zone allant de Boucan-Canot à Saint-Gilles-Les-Bains. Conscient du rôle essentiel des requins dans l’équilibre de l’écosystème marin et concerné par sa préservation, il n’en reste pas moins pragmatique pour trouver des solutions efficaces dans l’intérêt des surfeurs, des usagers du bord de mer et de l’Ile de la Réunion. Voici ses observations :

Dans le monde, 50% des accidents ont lieu sur des baigneurs, parfois en eau claire, en pleine journée. A la Réunion, ce sont les surfeurs qui ont été jusque là les plus exposés, le plus souvent en eaux sales, à la tombée de la nuit. Au regard de la montée en puissance des accidents dans la zone ouest de Boucan Canot à St Gilles Les Bains, épargnée jusqu’en 2006, il est à craindre que d’autres usagers et notamment des baigneurs soient les prochaines victimes. Les retombées sociales et économiques seraient alors désastreuses et quasi irréversibles pour l’ensemble des réunionnais.

La pratique du surf a plus de trente ans. La turbidité de l’eau, les moments propices aux attaques que sont le lever et la tombée du jour n’ont jamais été des limites particulières à la pratique du surf, de la baignade et de la pêche sous-marine dans cette zone balnéaire de Boucan à Saint Gilles les Bains. Aucune attaque n’avait été recensée avant 2006, quatre l’ont été ces 5 dernières années (dont 3 ces cinq derniers mois NDLR).

D’autre part, les requins en général sont une espèce menacée par la surpêche industrielle des pélagiques (filets, sennes) où ils finissent pris dans les filets, rejetés à la mer morts, et par une pêche qui les cible spécifiquement pour leurs ailerons. Ces pêches sont de plus en plus actives depuis 20 à 25 ans. Nous avons donc un paradoxe entre une population de squales en régression et une augmentation importante des risques dans cette zone. Certains facteurs principaux ont été modifiés à des fins diverses depuis quelques années, d’autres y sont sans doute liés avec une influence moindre :

1) la raréfaction des pélagiques au large, nourriture principale des grands requins, due à une pêche industrielle immodérée et non sélective, qui pousse les grands prédateurs à se rapprocher des côtes afin d’y trouver plus de proies et des zones d’alimentation où leurs techniques de chasse sont plus efficaces.

2) A la côte, ils y trouvent une eau plus turbide qu’auparavant. Les facteurs de cette turbidité sont liés à l’urbanisme et à l’activité humaine en général (grandes villes, eaux usées pas suffisamment traitées, rejets organiques des pluies, pollution dans les ravines, activités dans les ports, agricultures…). Ils augmentent l’efficacité de la chasse des requins, d’où une possible sédentarisation de certaines espèces ou au moins un changement de comportements alimentaires. Quelques observations et pêches ont été réalisées en ce sens depuis 4 à 5 ans devant le port de Saint Gilles les Bains où des individus (bouledogues) ont été aperçus plusieurs fois pendant un an à un an et demi, isolés ou même par deux ou trois.

3) Certaines pratiques de pêcheurs (plaisanciers, professionnels, poissonneries) ne rejetant pas assez loin leurs déchets (carcasses de poissons) ont sans doute eu un impact non négligeable sur ce phénomène de sédentarisation.

4) La baie de Saint-Paul a toujours été un lieu délicat en terme de densité de requins potentiellement dangereux pour l’homme où plusieurs attaques ont été recensées. On y a implanté un parc à poissons d’où un effet DCP (Dispositif de Concentration du Poisson) pour d’autres espèces, une présence et un passage de nourriture et un effet attirant de masse poissonneuse.

5) Les requins « affamés » par la pauvreté sans cesse accrue des ressources du large trouvent en la réserve marine une zone plus poissonneuse qu’auparavant donc plus intéressante à leur mode d’alimentation et à leur sédentarisation.

N’y a-t-il donc pas un accroissement du risque d’attaques de requins dans cette zone au regard de l’évolution de ces différents facteurs ?

Quels moyens à court et à long terme peut-on mettre en œuvre afin de modifier cette tendance et trouver un équilibre entre la protection de notre environnement qui est une priorité et le développement de l’activité humaine ?

Le constat parait évident, des modifications ont été apportées ces dernières années et des facteurs, liés les uns aux autres, ont bouleversé l’équilibre du milieu. Ce n’est qu’en mettant en place une étude approfondie de ce milieu, un recensement le plus exhaustif possible, une prévention et une éducation tous azimuts, et des actions pour faire évoluer les différents facteurs que cette situation pourra s’améliorer.

Nous n’arriverons jamais à un risque zéro, mais nous pourrons ainsi mieux connaître ce risque, donc mieux s’en prémunir et de cette manière trouver des solutions à un équilibre entre protection de la biodiversité et de l’équilibre marin, et une activité humaine et économique en général.

Dans le cadre de la mise en place d’un comité de réflexion, d’étude, de surveillance pouvant être à l’origine de propositions, un regroupement de ressources humaines et compétences pourrait voir le jour.

Je reste par ailleurs disponible pour tout complément d’information, ou pour toute action ou réflexion pouvant faire avancer cette problématique vers une meilleure compréhension et un amoindrissement de ce risque.

*Christophe PERRY, 39 ans, marié et père de famille, vit à Hermitage-les-bains. Il a 26 ans de pratiques nautiques dans la zone Ouest et autour de l’île de la Réunion derrière lui : plongée, surf, chasse sous-marine, pêche professionnelle. Il a été sportif de haut niveau de 1991 à 1995, avec 2 titres de champion de France de bodyboard. Ancien MNS sur les plages de Saint Paul, il est maintenant pêcheur professionnel depuis 11 ans et propriétaire d’un navire dans le port de Saint Gilles les Bains, spécialisé dans le poisson pélagique, très actif dans le programme et la promotion des DCP. Pêcheur d’un requin bouledogue de 3m50 pour 310 kg par 12 mètres de fond devant le port de St-Gilles en 2008, et du requin ayant fait polémique au mois de février 2011 suite à l’attaque de Trois Roches. Christophe a une bonne connaissance de l’évolution du milieu et des facteurs liés à la problématique environnement / activité humaine. Il a déjà de l’expérience dans le domaine de la recherche (étude IFREMER sur les tortues marines dans les Iles Eparses). Avec des collègues, il milite pour que des drumlines soient posées rapidement afin de récolter un maximum de données scientifiques qui permettraient de mieux connaître les requins, de mieux les protéger et de protéger les usagers de la mer comme les surfeurs. Les requins seraient tagués, relâchés et suivis par des balises.

Photo de Boucan prise de la falaise de Cap-Homard : Raphael Fredefon.

Lire aussi : comment protéger les surfeurs des attaques tout en préservant les requins ?

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