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Uhabia (Bidart) : une porte à clapets et un émissaire pour refouler l’eau polluée en mer

Nous parlions de la pollution des eaux de baignade sur nos côtes. Voici un exemple concret pour illustrer les « solutions » inventées pour contourner la nouvelle réglementation qui entrera en vigueur en 2015. Nous avions déjà parlé du délistage des plages ; la commune de Bidart a eu une autre idée : dériver la pollution charriée par sa rivière Uhabia un peu plus loin en mer !

Pour solutionner le problème de pollution engendré par sa rivière, il a donc été décidé à Bidart de rejeter les eaux contaminées 500 mètres plus loin dans la mer. Comment cela va-t-il se passer concrètement ? En cas de pluies suffisamment importantes (sauf risque d’inondation) et de risque de pollution, la rivière Uhabia sera contenue par une porte à clapets qui fera barrage (cf. photo). L’eau sera stockée dans son lit naturel et dans un bassin de stockage de 35.000 m³. L’eau polluée – et non traitée – sera ensuite relarguée pendant la nuit (!) à 500 mètres au large et par 15 mètres de profondeur grâce à l’émissaire. Le but étant que la pollution soit diluée suffisamment loin du rivage pour que les analyses pratiquées en bord de plage le lendemain matin restent dans les nouvelles normes imposées.

Cela paraît totalement aberrant, et pourtant ce projet est bien en cours de réalisation en ce moment-même.

Malheureusement, ce projet n’a pas cristallisé contre lui l’opposition des associations environnementales, comme cela s’est produit pour le saumoduc d’EDF dans les Landes. Peut-être que le projet de Bidart a été occulté par celui d’EDF ou insuffisamment médiatisé pour attirer l’attention du grand public. Toujours est-il qu’aucune action n’a été entreprise pour manifester contre ce projet scandaleux du point de vue environnemental. Même Surfrider Foundation ne s’y est pas opposé

La plage de l’Uhabia (prononcez « Ouhabia ») pose problème depuis de nombreuses années. On sait la rivière du même nom régulièrement polluée, à tel point que les locaux l’évitent de peur de contracter une infection dans l’eau. Comme le spot du Furoncle à Anglet proche de l’embouchure de l’Adour, celui de l’Ouhabia est un point noir sur la côte basque depuis des années. Pour avoir vécu plusieurs étés à proximité de ce spot, je sais de quoi je parle. Je n’y ai d’ailleurs jamais surfé, même quand les vagues avaient l’air bonnes.

Quand les nouvelles directives européennes sur la qualité des eaux de baignade ont été décidées, on savait bien que l’Uhabia ne remplirait jamais les critères requis en l’état actuel des choses. Dans un premier temps, la plage de l’Uhabia a mystérieusement disparu de la liste des plages analysées… Mais quand il a été clair que l’Uhabia n’échapperait pas à cette nouvelle réglementation, les élus au pied du mur ont dû trouver une solution dans l’urgence. Au lieu de tout faire pour régler au plus vite les sources de pollution bien identifiées (certaines exploitations agricoles, déchetterie…) qui contaminent la rivière, cette solution palliative improbable a été trouvée : fermer une porte à l’embouchure de la rivière en cas de pollution et dériver l’eau insalubre à 500 mètres du bord !

Quand j’ai entendu parler de ce projet dans un article du Canard Enchaîné, je n’y ai d’abord pas cru. Cela paraissait tellement invraisemblable au milieu de tous les beaux discours ambiants sur la préservation de l’océan. Je me suis donc rendu à la réunion d’information publique organisée par la mairie de Bidart pour en avoir le coeur net.

La réunion s’est déroulée en plusieurs séquences. D’abord, on a rassuré les administrés sur le fait que cela n’allait rien leur coûter, ou presque (la facture d’eau ne devrait pas augmenter). Ensuite, on leur a expliqué que si on ne faisait rien, ils risquaient de perdre de l’argent, chiffres à l’appui. Rendez-vous compte, la saison touristique pourrait pâtir d’une fermeture de la plage ! Une étude sur l’impact économique d’une fermeture de plage commandée par la commune de Bidart a estimé qu’une baisse de la fréquentation de 5% entraînerait une perte de « valeur ajoutée » de 1.384.000 € par an. L’exemple de la marée noire du Prestige a même été pris pour rappeler qu’elle avait entraîné une baisse de fréquentation de 15% à l’été 2003. Les élus ont ensuite rappelé que ce n’était pas de leur faute, mais de celle de leurs prédécesseurs qui n’ont rien fait… A leur décharge, il faut quand même rappeler que si l’embouchure de la rivière se trouve bien à Bidart, ce sont toutes les communes de son bassin versant qui sont concernées (à savoir Arbonne, Ahetze, Arcangues, Saint-Pée-Sur-Nivelle).

Ils ont insisté sur tout ce qui serait entrepris sur le bassin versant pour faire passer la pilule amère. C’est d’ailleurs sur ce « Contrat de Bassin » que Surfrider s’appuie pour ne pas s’opposer à ce projet. Mais à partir du moment où la porte à clapets et l’émissaire seront en place et que les analyses seront « bonnes » entre guillemets, plus rien n’obligera à se hâter à prendre les mesures indispensables en amont…Et on pourra toujours se trouver de bonnes excuses pour repousser les travaux (la crise économique par exemple).

Nous sommes bien en 2012 dans une région qui prône dans un discours de façade la protection des océans. Mais quand il s’agit de s’attaquer aux problèmes de la pollution marine à bras le corps, on opte pour une solution cache-misère qui ne fera que repousser un peu plus loin dans l’océan les pollutions bactériologiques et chimiques.

Les élus qui prennent ce genre de décisions, et les citoyens qui les cautionnent, n’ont qu’un raisonnement à court terme : « il faut sauver la prochaine saison touristique à tous prix !« . Mais j’ai une question à poser à ces gens-là : que vous restera-t-il le jour où le tourisme s’étiolera et que l’océan sera irrémédiablement pollué, à part vos yeux pour pleurer ? C’est l’Océan qui est notre véritable richesse sur la Côte Basque, et nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à le polluer de cette manière. Il faut le sanctuariser tout de suite et maintenant, avant que de nouvelles directives encore plus restrictives venant de Bruxelles nous interdisent de nous y baigner ou d’en consommer le poisson.

Des représentants des pêcheurs ont d’ailleurs rappelé à quel point leur métier était menacé sur la Côte Basque. Ils ont rappelé que des poissons descendaient et remontaient la rivière (montaison et dévalaison des anguilles argentées, des civelles…) et qu’ils pourraient être gênés par la porte à clapets, malgré des passes à poissons prévues.

Les instigateurs de ce projet ont bien compris que ce n’est pas la panacée, mais il ne prennent pas conscience de la gravité du problème éthique et environnemental posé. Qu’est-ce qui empêchera à l’avenir d’autres communes de faire pareil ? A quoi servent les analyses des eaux de baignade si on va refouler les eaux contaminées à distance ? Les analyses devraient être effectuées en sortie d’émissaire.

Que vous polluiez l’océan au bord ou au large : cela revient au même ! C’est même pire en fait car on va contaminer le milieu encore plus en profondeur. Et c’est dans cet océan que l’on va ensuite pêcher les poissons que l’on mange encore, mais pour combien de temps ?

Pour mettre la poussière sous le tapis et ne rien résoudre au problème, des millions d’euros sont dépensés (7 millions d’euros rien que pour le dispositif de gestion des flux de l’Uhabia). Et rien ne dit que l’émissaire résoudra le problème, les courants marins pouvant toujours ramener la pollution vers le bord. De plus, ce système n’est prévu fonctionner que pendant la saison estivale et pas plus de 28 jours par an.

Il est tout de même rassurant de constater que les internautes sont globalement outrés par cette affaire comme on a pu le lire dans les réactions sur Facebook. Malheureusement, les surfeurs et les usagers de la mer à l’année n’ont pas voie au chapitre sur ce genre de dossiers.

Maintenant que ce projet est lancé, il n’y a plus qu’à espérer que cette porte à clapets ne reste en service le moins longtemps possible et que le travail du contrat de bassin réalisé en amont portera ses fruits dès les prochains mois.

Cette histoire ne concerne pas exclusivement la Côte Basque, mais elle pourrait intéresser toutes les communes littorales soumises à la pollution des eaux de baignade et qui pourraient être tentées de cacher ou de dériver la pollution plutôt que de la traiter.

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