On avait un peu perdu de vue Bruce Irons depuis le décès de son frère Andy. On l’avait bien aperçu lors de sessions de free surf à Cloudbreak ou à Teahupoo mais il avait semblé l’ombre de lui-même lors de ses rares apparitions en compétition. Plus récemment, on apprenait la rupture avec son sponsor historique Volcom puis sa signature avec le team FOX. Dans une interview passionnante parue dans le Transworld Surf de janvier 2013, Bruce, 32 ans et père de 2 enfants, livre ses états d’âme et raconte comment il essaye de sortir de la période la plus noire de sa vie. Extraits:
« Je suis passé par une période sombre de ma vie… J’ai eu des problèmes dans ma vie personnelle qui m’ont beaucoup affecté.
Avec l’âge, tu réalises qui sont tes vrais amis. (…) Quand les gens ne me voient pas pendant un moment, ils s’imaginent tout de suite le pire. Ces 6 derniers mois, j’ai passé du temps tout seul. (…) J’étais au Mexique cet été pour me remettre les idées en place. Je me suis amusé, j’ai eu beaucoup de vagues magnifiques, et maintenant, je reste à la maison d’Eddie et de Makua Rothman sur le North Shore. Je connais Eddie depuis que j’ai 10 ans. Eddie a un grand coeur et il s’est toujours occupé de moi et de mon frère. Quand Andy est mort, Eddie m’a appelé régulièrement pour voir si tout allait bien. Il est solide. Je suis donc chez lui parce que je lui fais confiance et qu’il se préoccupe de moi. Je m’entraîne avec Makua. Je m’entoure de personnes formidables, et la vie est belle. Je m’entraîne, je suis en bonne santé, je ne prends pas de drogues, je suis motivé. F**K à toutes les rumeurs.
Je déprime quand j’entends toutes ces rumeurs sur moi. Cela m’isole encore plus et me rend plus introverti et solitaire. Récemment, j’ai réalisé que j’ai eu à faire face à la dépression toute ma vie… La dépression est quelque chose de lourd à porter, et là où j’ai grandi, tu n’aurais jamais pu admettre que tu étais déprimé à propos de quoi que ce soit. Admettre une faiblesse là où j’ai passé ma jeunesse était la pire chose que tu pouvais faire. (…)
Je suis allé au Mexique seul, pour surfer seul… Le Mexique est incroyable: de l’eau chaude, pas de monde, des vagues grosses et puissantes. Quand je suis dans l’eau tout seul, c’est là que j’ai mes réflexions. C’est là que je nettoie mon âme. Je me pose des questions. Je parle à mon frère. Je respire. (…)
Je n’aime pas regarder des vidéos de moi. Mon frère avait le même problème. Si je ne surfe pas pendant quelques temps, je ne peux pas regarder mes vidéos. Dans ma tête, je me sens comme le plus gros blaireau du monde… Là où je me sens le moins sûr de moi, c’est quand je marche sur la plage depuis la Pipe House jusqu’à l’océan. Dans ma tête, je commence à penser que tout le monde va me juger, me mettre sous un microscope, et penser que je suis un blaireau. Il y a eu des fois où je doutais tellement que je ne quittais pas ma chambre. Beaucoup croient que c’est de la paresse ou pensent que j’ai trop bu la veille, mais la vérité est que mes doutes peuvent prendre le dessus au point de m’empêcher d’aller surfer.
Je sais que tout cela remonte à l’enfance. Je réalise maintenant que là où j’ai grandi, c’était raide. Mes amis et moi ne nous complimentions jamais, et si tu montrais un signe de faiblesse, tu étais une poule mouillée pour la vie, surtout si tu étais un garçon blanc. Je devais me comporter comme si rien ne m’impressionnait, c’était pour tout le monde pareil. Si tu montrais tes sentiments, tu étais une mauviette. Si tu voulais être respecté, il fallait que tu agisses comme si rien ne t’affectait, et faire le dur…
C’est comme ça que j’ai grandi et je n’ai compris que récemment que ne pas exprimer tes sentiments peut te rendre complètement dingue. Mon frère et moi ne nous sommes jamais exprimés nos sentiments l’un à l’autre, ni à quiconque… Nous avons tellement bataillé mon frère et moi en grandissant que cela a fait de nous de meilleurs surfeurs – mais peut-être pas de meilleures personnes… Nous nous aidions mutuellement en étant des merdeux arrogants l’un pour l’autre. Tout ce que j’ai toujours voulu dans ma vie et pendant ma carrière, c’était l’impressionner. Et il voulait lui aussi m’impressionner. Depuis que je suis né, j’essayais de l’impressionner. Pendant toute ma vie, j’ai essayé de le dépasser et de gagner son approbation.
Les gens me posent des questions sur le succès et la célébrité, mais je m’en suis toujours fichu – tout ce qui m’intéressait était de l’impressionner. Quand il est mort, j’ai réalisé que toute ma volonté venait de lui. Quand il est mort, f**k, c’est dur, j’associais l’océan à lui, et ça m’a pris beaucoup de temps pour retrouver l’amour de l’océan et du surf. J’ai passé les 2 dernières années à me remettre en question et à essayer de trouver une raison de surfer à nouveau… Maintenant, j’essaye de trouver la motivation en regardant surfer des gars comme John John Florence ou Dane Reynolds…
Je suis une personne totalement différente par rapport à il y a deux ans. J’ai compris ce qui est sain pour moi et avec quelles personnes m’entourer. Je médite beaucoup. J’essaie de calmer mon esprit et d’empêcher mes pensées d’aller trop vite. Je pratique des exercices de respiration pour me calmer. J’essaye d’avoir le mode de vie le plus positif. Je veux être calme et présent. Virer ce put*** d’ego qui est diabolique. Mais tu as besoin d’ego et de fierté. Tu dois donc essayer de les garder en surface, et les canaliser pour les utiliser comme source de motivation. Tu as besoin de ça pour prendre des vagues et tout le reste, mais tu dois les contrôler pour vivre une vie meilleure. Le Yin et le Yang.
Dans un futur proche, je me vois en super forme et en bonne santé, souple, positif, plein de jeunesse – et pas en train de ressasser le passé. J’admire des gens comme Gerry Lopez. Il a une aura tellement incroyable. J’aimerais vivre comme ça. Cool, calme, et posé, et avant tout, heureux…
Je prends ma vie très au sérieux et je suis toujours très prudent. J’ai vécu beaucoup de choses qui m’ont rendu plus fort et qui me font apprécier encore plus la vie. J’apprécie l’amitié, les beaux couchers de soleil, les choses simples. La vie est précieuse, mais quand c’est le moment de partir, c’est le moment de partir, que tu le veuilles ou non. Mais je ne prévois pas de partir avant très longtemps.
J’entame un nouveau virage dans ma vie, un virage vers le positif. »
Lire l’intégralité de l’interview dans la magazine Transworld Surf: