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Comment protéger les surfeurs des attaques tout en préservant les requins à la Réunion ?

Sans prendre parti, si ce n’est pour la prise en compte des risques encourus par les surfeurs et la nécessité de mettre en place des mesures de prévention des attaques de requin, Surf Prevention.com continue de donner la parole à des spécialistes directement confrontés à la problématique du « risque requins » à la Réunion ravivée par le décès tragique du bodyboarder Eddy Aubert à Boucan.

On entend s’exprimer dans la vidéo Youtube ci-dessous le Dr Fanch Landron, président de l’association Squal’Idées, qui donne la priorité à la protection des requins et Jean-François Nativel, pêcheur et surfeur, qui milite pour que des mesures plus énergiques soient prises pour protéger les surfeurs en première ligne à la Réunion face aux attaques. Dans cet article, Renaud Daron, surfeur à la Réunion, journaliste et juriste donne son ressenti sur la situation et dit tout haut ce que beaucoup de surfeurs pensent tout bas :

« Avant-hier, dimanche 20 juin. Comme plein d’autres dimanches, nous sommes allés pique-niquer en famille et entre amis à Ti’Boucan, sur la côte Ouest de la Réunion. Un lieu idéal où glandouiller autour d’un carry ou d’une bonne salade. Une petite plage de rêve, avec ses filaos, son sable blanc, son eau turquoise et ses petites gauches super funs qui cassent tout près du rivage. On en aurait presque oublié qu’à peine quelques jours avant, un bodyboarder habitué des lieux s’était littéralement fait dévorer par un ou plusieurs requin(s) avant que son corps mutilé et sans vie ne soit ramené sur la terre ferme par David Huet (alias Rasta), un bodyboarder emblématique de la Réunion, également présent à l’eau ce soir-là. Seule trace de l’attaque sur la plage, des fleurs et un bodyboard déposés sur la plage, en face du pic, là où le malheureux Eddy Aubert, 31 ans, a laissé la vie en attendant sûrement la fameuse « dernière vague avant de sortir de l’eau ». Cette dernière vague ne vint jamais.

Sensationnalisme et politique de l’autruche : on ne change rien !

A quelques mètres de là, les naïades se dorent la fesse comme si de rien n’était. Circulez, y’ a rien à voir. Ni à croquer d’ailleurs car malgré un bon mètre offshore, personne à l’eau. Au loin vers le Nord, on aperçoit le poste de secours de la plage principale de Boucan, la flamme y est orange : l’arrêté municipal interdisant baignade et activités nautiques a dû être levé.

Et là, on se dit que ça y est, qu’on est reparti pour un tour jusqu’à la prochaine attaque. Laquelle ne manquera pas de défrayer la chronique locale, à coup de slogans et de photomontages anxiogènes en première page de la PQR. On ouvrira le Quotidien ou le JIR (journal de l’ïle) et on lira le même article qu’on lit depuis toujours, avec rappel des consignes de sécurité et catalogue des attaques sur les 10, 20 ou 30 dernières années. Les mêmes « experts » seront appelés à produire les mêmes témoignages et la conclusion sera la même que d’habitude : les surfers se font bouffer parce qu’ils ne respectent pas les règles. Les requins sont nos amis et il faut les protéger. Il n’existe pas de risque zéro etc.

Pour le coup, il est incontestable que le soir où Eddy perdit la vie, les conditions étaient réunies pour une attaque : de l’eau troublée par les fortes pluies de la veille, un surf au coucher du soleil et une victime isolée de ses congénères. De là à dire qu’Eddy Aubert l’a bien cherché, il n’y a qu’un pas que de nombreux internautes ont franchi dans les commentaires pas toujours compassionnels qui ont fleuri sous les articles des web-journaux locaux (Zinfos974, Clicanoo etc…). DONC : le problème, c’est les surfers. Et à ce titre, il ne faut surtout rien changer aux politiques publiques : sur les plages, pas de panneaux avertissant du risque encouru et exposant la conduite à tenir pour minimiser le danger, pas de velléité d’installation de filets, de drum-lines, pas de patrouilles de lifeguards et surtout pas de prélèvement de bébêtes un peu trop sédentarisées près du rivage, ni d’études sur les requins et leur comportement… RIEN. Continuons comme avant, puisque les requins n’y sont pour rien-qu’on vous dit-et qu’il faut les protéger, ces adorables créatures tellement indispensables à l’équilibre de l’écosystème marin !

Car, tout écolo que l’on est (et les surfers le sont généralement), on est en droit de se poser la question suivante : la vie d’un requin bouledogue ou tigre, voire d’une patate de corail, vaut-elle plus que celle d’un surfer, qui est, rappelons-le tout de même, un être humain ? Parce que des sorties indignées quand quelques surfers ont pris l’initiative de pêcher un bouledogue agressif qu’ils pensaient responsable de la mutilation d’ un touriste en février dernier, il y en a eu plein. On a crié à la barbarie, à la vengeance primaire et le protagoniste principal de cette expédition punitive (préventive ?) serait même en proie à moult tracasseries officielles.

Cette politique de l’autruche conduite par les pouvoirs publics, c’est un grand classique de la vie publique réunionnaise. Ici, on croit à la fatalité, ce qui est commode : ce n’est pas fatigant et c’est économique. Faudrait-il que le fils ou la fille d’un de nos caciques locaux se fassent grailler un membre pour que les choses évoluent ? Même pas sûr. Car à la Réunion, on fait passer les vessies pour des lanternes comme on enfile les perles d’une actualité qui se répète à l’envi. Exemple frappant : le chikungunya, qui n’est rien d’autre qu’un scandale sanitaire dû à l’absence de lutte anti-vectorielle avant l’épidémie (une hérésie en zone tropicale)… Qu’on a présenté à l’opinion publique comme une catastrophe naturelle !

Ce qui est pour le moins paradoxal, c’est qu’à la Réunion, les institutions et les médias ne se gênent pas pour communiquer autour de leurs champions de surf et relayer leurs exploits comme peu de régions en France. D’ailleurs, dans la même édition du JIR que celle ayant relaté l’attaque mortelle d’Eddy Aubert, on vantait non sans fierté les mérites de la St Leusienne Cannelle Bullard, nouvelle championne du monde junior ISA. Ce qui est une très bonne chose, mais qui sonne bizarre quand on sait qu’à l’inverse des autres « nations  » du surf mondial concernées par les attaques de squales, à la Réunion, on ne fait rien de chez rien pour protéger la « ressource surfers ». Qu’ils ramènent des médailles et se taisent, les surfers. Qu’ils se fassent bouffer, mais en silence, ça pourrait effrayer les (rares) touristes !

Le problème des statistiques : regarder la réalité en face

Tronquées voire truquées. Étonnant : dans la presse, on trouve presque toujours un classement international de la dangerosité des côtes en valeur absolue, ce qui permet à la Réunion de ne pas figurer en tête des eaux les plus infestées de requins « croqueurs » d’hommes. Ça permet de se dire que, finalement, l’Australie, l’Afrique du Sud ou encore la Californie, avec à peine plus d’attaques recensées sur leurs spots chaque année qu’à la Réunion, sont plus mal loties que nous. Or, point besoin d’être statisticien à l’INSEE pour comprendre que ces chiffres ne veulent rien dire si on ne les ramène pas à la population vivant sur ces rivages ! Voire, si on ne les ramène pas à la population de surfers à l’année sur un littoral donné… Or, si l’on établit un ratio entre le nombre annuel d’attaques et le nombre d’habitants, la Réunion arrive en 2ème position mondiale, derrière Hawaii ! Et si l’on considère qu’à Hawaii, presque tout le monde surfe toute l’année et qu’à la Réunion, presque personne ne surfe à l’année en comparaison (peut-être un, deux ou trois milliers de surfers réguliers sur plus de 800.000 habitants), on en arrive à une belle première place mondiale, et de très loin. La Réunion est ainsi l’endroit où l’on peut se faire goûter le plus facilement du monde. Et de surcroît, la Réunion est l’endroit où l’on peut mourir d’une attaque de requin avec la plus grande aisance, puisque nous détenons le record mondial de mortalité des attaques (il serait intéressant de se demander pourquoi).

Alors, aujourd’hui, il semblerait que l’IRT (Institut Réunionnais du Tourisme) ait décidé de se pencher sur  une étude de l’IFREMER qui traite de la gestion du risque requin à la Réunion. Cette étude, initialement commandée par la mairie de Saint Paul, a été exhumée par les pêcheurs St Gillois qui ont capturé un bouledogue jugé agressif peu après l’attaque de février dernier. Laquelle étude date tout de même de 1997 et avait, sans doute pour les raisons évoquées plus haut, était sacrifiée sur l’autel de la politique de l’autruche, endémique à Bourbon.

Que dit ce rapport ?

Que des mesures (vraisemblablement l’installation de palangres de surface dits drum-lines) doivent être prises rapidement mais que des études en amont doivent être réalisées, notamment sur la question de savoir si les attaques sont plus le fait de requins pélagiques ou sont dues à des « résidents » comme les bouledogues. Or, l’on sait qu’une grande partie, sinon la moitié des attaques, sont à la Réunion le fait de requins bouledogues, bestiaux sédentaires extrêmement agressifs et peu farouches.

On sait aussi qu’après l’attaque de mars dernier (Trois Roches, Saint-Gilles, Ouest), des surfers-pêcheurs sous-marins aguerris dont l’ancien champion de bodyboard Jean-François Nativel, avaient pris l’initiative de chasser un requin bouledogue sédentaire qui était, selon leur expérience locale, possiblement responsable de l’attaque ayant coûté une jambe à un surfer en vacances. La capture se fît de nuit et à l’extérieur de la réserve marine. Ces spécialistes de la mer ne purent pas prouver que le bouledogue capturé et tué était bien le responsable de l’attaque, car l’estomac du squale se révéla complètement vide. Une explication pourrait venir du fait que la lutte de plusieurs heures menée par le requin lors de sa capture ait entraîné la régurgitation par le squale de tout le contenu de son estomac (la bonite utilisée comme appât a disparu)…

Quand la pensée unique confisque tout débat

Après lecture du rapport de l’IFREMER, on perçoit différemment l’expédition, certes un peu « cow-boy », de ceux qui ont pu être présentés comme les affreux vengeurs de Saint-Gilles. Car d’après les études sur la gestion du risque requin mentionnées dans ce rapport, il serait utile d’effectuer des prélèvements sur certaines populations de requins sédentaires et dangereux comme notre ami le bouledogue. Manifestement, nos spécialistes péi des requins, ceux qui s’étendent à longueur d’articles sur l’impérieuse nécessité de protéger les espèces de requin menacées d’extinction, sont peu sensibles à l’extinction d’une espèce certes moins noble… les surfers… et les touristes ! Car cette étude, qui ne va pas dans le sens de leurs préconisations (on ne touche pas au moindre requin), ils se sont bien gardés d’en mentionner l’existence. Tromperie de l’opinion publique ? Présenter une thèse comme une vérité unique et absolue alors que cette dernière est contredite par des points de vue au moins aussi éclairés (le Natal Shark Board par exemple), cela s’appelle de la désinformation et selon toute vraisemblance, on n’a pas fait son boulot non plus du côté des journalistes (et je m’inclus dans ces journalistes qui ont gobé en bloc les idées de ces experts).

Et là, je dois reconnaître qu’après m’être montré dans un premier temps très dubitatif sur l’intérêt du « prélèvement » réalisé par nos amis St Gillois, leur initiative m’est apparue ensuite beaucoup moins « primaire » et idiote que les défenseurs des requins ne l’avaient présentée. Ceci dit, il faut se garder de rejeter en bloc tous les arguments développés par ces défenseurs et ne pas passer d’une extrémité à une autre.

Alors oui, ces experts amoureux des squales n’ont pas tort quand ils affirment la nécessité de préserver les requins, y compris les plus dangereux d’entre eux comme le tigre et le bouledogue. Ces sympathiques animaux sont en effet indispensables à l’équilibre de la chaîne alimentaire.

Oui, ils ont raison d’insister sur le volet préventif car trop de surfers prennent des risques inconsidérés voire se la jouent « trompe-la-mort » en surfant n’importe quand et n’importe où.

Oui, il faut bien mesurer l’impact sur les autres espèces marines telles que tortues, dauphins etc. si on décidait d’installer des filets maillants et/ou des drum-lines.

Mais : il est surréaliste de placer la protection d’animaux au-dessus de l’impératif absolu que doit être la préservation de la vie des surfers et des autres usagers de l’Océan. C’est absolument contre-nature et témoigne d’une indifférence voire d’un mépris pour les victimes d’attaques. « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs », dit le proverbe populaire : n’est-il pas préférable de sacrifier quelques animaux marins pour assurer une meilleure sécurité des usagers de la mer ?

Jusqu’à présent, les autorités locales ont préféré le sacrifice de surfers. Cependant, puisque des débats à la télé ont été organisés autour de ces attaques et de l’intervention manu militari relatée plus haut et que l’IRT semble s’être saisie de cette affaire, peut-être sommes-nous face à un début de prise en compte  par  les pouvoirs publics du risque requin et de sa gestion au quotidien. Ce qui pour une île à vocation touristique n’est pas superflu.

Peut-être également que cet énième drame saura ramener les uns et les autres à plus de mesure et faire comprendre que ce qui se fait partout ailleurs en terme de protection des populations humaines contre les requins n’est pas une ineptie ni un comportement anti-écologique mais une simple mesure de bon sens qui témoigne du respect de la vie… humaine. L’écologie, on est tous pour, sauf quand elle dégénère en intégrisme.

Toutes nos pensées vont à la famille d’Eddy Aubert. »

Renaud D.

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