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« Tu seras Kelly, Mon Fils » : Le Syndrome de Réussite par Procuration

Ceux qui fréquentent les terrains de football ou de tennis connaissent bien ces parents qui surinvestissent les performances sportives de leurs enfants voyant en eux des futurs champions. Avec une nouvelle génération plus importante de parents de jeunes surfeurs, souvent eux-mêmes surfeurs, le phénomène devient de plus en plus visible dans le surf.

Il est vrai que certains enfants sont très doués et on ne peut être qu’admiratif. Dans le surf, la précocité de Jérémy FLORES est bien connue, il était déjà capable de courbes incroyables à l’âge de neuf ans. Bien sûr nous sommes tentés de pousser les enfants quand ils montrent un potentiel dans un domaine mais à quel moment « franchit-on la ligne jaune » ? Quelles peuvent en être les conséquences ? C’est le sujet de cet article qui ne se veut ni moralisateur ni culpabilisant.

1- Le syndrome de réussite par procuration, c’est quoi ?

C’est le désir que son enfant atteigne un  niveau d’excellence qui dépasse très largement les ambitions habituelles des parents pour leurs enfants. La sur-stimulation et le surinvestissement du talent de l’enfant deviennent alors prédominants et problématiques, l’amour des parents étant même parfois conditionné aux performances sportives.

C’est le pédopsychiatre californien, Ian TOFLER, qui a décrit précisément ce syndrome en 1999. Il mentionne une condition et trois signaux d’alerte (étapes) relevant du processus psychopathologique du syndrome de réussite par procuration :

Condition du syndrome de réussite par procuration

Inscription de l’enfant par l’adulte dans une situation valorisée socialement dans laquelle il existe un risque d’exploitation des qualités de l’enfant en lien avec les ambitions et désirs non satisfaits de l’adulte.

Le surf répond bien à cette condition car il a une image de modernité, de fun et il est donc très valorisé contrairement au crachat de graines de melon dont le champion du monde est français !

Signal d’alerte n°1 : le pseudo-altruisme ou sacrifice

Il se caractérise par le fait que les parents vont faire des choix de vie radicaux (changement de métier, déménagements…) pour tout consacrer à la réussite hypothétique de leur enfant qui parfois n’a que 7 ou 8 ans !

C’est exactement ce qu’on observe maintenant dans le surf. Des Bretons vont dans les Landes, les Landais sous les tropiques et les ultramarins reviennent en Bretagne ou dans les Landes l’été pour les compétitions. Dans une moindre mesure, pour ne pas rater des sessions de surf,  on voit des enfants de la côte ne jamais partir en vacances et surtout pas dans les terres ou « à l’intérieur » comme on dit au Pays Basque.

Le paradoxe est que ces parents peuvent passer pour de « bons » parents car ils « sacrifient » tout pour l’enfant sans se rendre compte de la nuisance pour son développement personnel et de son isolement social (cas d’enfant déscolarisé et/ou orienté vers une seule activité).

Signal d’alerte n°2 : l’instrumentalisation

L’enfant capable de performance devient alors un objet de valorisation narcissique pour le parent ou bien un entraineur.

Il est normal que les réussites des enfants soient gratifiantes pour les parents mais sous réserve que l’enfant ne réponde pas à des attentes exagérées du parent qui recherche des bénéfices dans la réussite de leur enfant au mépris de leur santé.

Les parents qui veulent faire de leur enfant un champion de surf auront tendance à se justifier en évoquant les intérêts financiers, les voyages sous les cocotiers… A partir de là les peurs ou les douleurs de l’enfant seront négligées pour ne pas nuire au projet qui est justifié. « Mais c’est mon enfant qui veut faire du surf » répondra le parent. Bien sûr et si l’enfant dit vouloir faire champion de pétanque, toute la famille va déménager à Marseille ?

Signal d’alerte n°3 : la maltraitance

Nul besoin de voir le parent battre son enfant chaque fois qu’il rate un roller, la maltraitance est souvent plus insidieuse.

Parlons d’abord de la violence psychologique. Demander à un enfant de se comporter comme un surfeur professionnel est maltraitant pour l’enfant qui subit une pression et des responsabilités qui sont déjà difficiles à assumer pour des professionnels aguerris (avec la peur de décevoir ses parents en moins).

La maltraitance est aussi physique quand l’enfant doit continuer à s’entrainer blessé ou quand les parents ne suivent pas les conseils médicaux ou bien font le tour des médecins dans l’attente de trouver celui qui ira dans leurs sens.

Les spots publicitaires nous rappellent, à juste titre, l’importance de manger équilibré. Faut-il pour autant astreindre un jeune enfant à un régime alimentaire strict dans le but d’optimiser ses performances ? Les exemples dans d’autres sports nous montrent que c’est un facteur de risque à développer des troubles du comportement alimentaire ou même une porte ouverte vers le dopage.

2- Les parents qui montrent un syndrome de réussite par procuration sont-ils tous des psychopathes ?

D’après les manuels de psychologie, oui ! Disons qu’il est mentionné des personnalités hystériques (ceux qui veulent se faire remarquer, l’enfant doué étant un moyen d’y parvenir), les personnalités borderline (les instables émotionnellement) et les personnalités narcissiques ou perverses narcissiques (les manipulateurs bourreaux, lire les magazines féminins pour mieux connaître ce terme à la mode !).

Relativisons tout ça mais il est clair que pour faire de ses enfants des champions il faut « franchir la ligne jaune ». L’exemple du père des sœurs WILLIAMS est tout à fait instructif. Ce papa, qui n’avait jamais touché une raquette de sa vie, a déclaré un jour : « Je ferai de mes filles les n°1 et 2 mondiales de tennis » et il y est arrivé mais certainement pas sans montrer une bonne dose de folie.

Sans parler d’un trouble de la personnalité, on retrouve fréquemment chez les parents dans un processus de syndrome de réussite par procuration, un autre syndrome,celui du sportif frustré.

Dans la famille surfeur je voudrais Kelly (le grand père). Son âge ne lui empêche aucunement de truster tous les podiums et de frustrer des générations de surfeurs. Il suffit de voir les championnats de France masters avec des compétiteurs une douzaine d’années plus jeune que lui…

Revenons à nos parents de surfeurs parmi lesquels on va trouver en majorité d’anciens bons sportifs (de diverses disciplines, pas uniquement le surf) mais qui n’ont jamais atteint le sommet de la pyramide. Leur enfant est pour eux l’espoir de gravir la dernière marche, de sortir du statut de « second couteau ».

Ce phénomène de projection parentale ne se retrouve pas que chez les sportifs frustrés mais aussi chez des parents dans une problématique narcissique où l’enfant pourra accomplir tous leurs désirs avortés.

L’enfant est utilisé comme un faire valoir et il se doit de réussir.

Pour avoir assisté en juillet 2011 à une compétition de surf de tout-petits (Les têtards), je peux témoigner des rappels à l’ordre du bon comportement à adopter pour les parents. Ces pauvres organisateurs bénévoles se plaignent toujours au fil des années des parents qui râlent, vocifèrent, essayent d’influencer les arbitres et même trichent.

La fédération française de tennis, consciente des dérives parentales exacerbées dans son sport, a édité sur son site internet une sorte de guide destiné aux parents pour bien se comporter (rubrique la bonne attitude dans le chapitre Jouer /Santé).

Quelques conseils pour les parents

Essayez de vous accomplir vous même. Votre vie professionnelle est sans intérêt, vous accusez un léger surpoids…peu importe il y a une multitude d’activités qui peuvent vous permettre d’apprendre, de progresser ou d’avoir des sensations.

Regardez la réalité des chiffres. Aucun français métropolitain n’est arrivé sur le WCT alors qu’une trentaine de personnes deviennent millionnaires à la loterie nationale chaque année et que l’on peut devenir président de la république tous les 5 ans. Il faut avoir la capacité à fantasmer c’est absolument nécessaire mais les objectifs doivent être réalistes et par étapes (voir mon ouvrage « Surf aptitude, préparation mentale » pour une revue des techniques de fixation de buts et des facteurs de motivations).

La perfection n’existe pas. Si votre enfant devient trop grand pour le surf, que faire ? Ne plus l’aimer ? L’amputer ? Tout ça n’a pas de sens. Notre seule richesse c’est la connaissance et elle est là, offerte, il y a juste à prendre un livre. Pour les enfants c’est encore plus simple il y a l’école pour leur transmettre les savoirs et les copains en bonus.

Inutile de culpabiliser, c’est génial de partager son amour du surf et de l’océan avec son enfant, mais avoir le courage de s’auto observer. Lisez l’excellent livre d’André AGASSI (Open écrit en 2009) qui explique comment son père a fait de lui un champion en « franchissant la ligne jaune » et les conséquences sur son être.

3- Quelles conséquences possibles pour les enfants dont les parents montrent un syndrome de réussite par procuration ?

Rappelons que la pratique du surf par les enfants a beaucoup d’aspects positifs comme le développement psychomoteur, l’apprentissage de la patience et de la persévérance, l’augmentation de l’estime de soi, l’occasion d’exprimer des émotions fortes ou bien le contact intime avec la nature. La pratique de la compétition n’est pas non plus à bannir bien que non indispensable en surf. Elle permet de mieux se connaître, de dépasser ses limites ou de ressentir le grand frisson.

En revanche dans le cadre du syndrome de réussite par procuration, on est dans un trouble grave de la parentalité. Le parent déshumanise l’enfant dont les envies et  besoins sont étouffés au profit de la réussite. L’enfant va être utilisé, fétichisé, pour faire valoir la réussite du parent. L’enfant adhère à tout ça par soumission et il en tire malheureusement une satisfaction masochiste. Ce mode de fonctionnement est pathogène pour l’enfant dont la personnalité et l’identité risquent d’être marquées à jamais. Il peut donc y avoir une personnalité non épanouie qui donnera une impression de gâchis pour le jeune. L’identité sera troublée pour ces enfants à qui on a fait surinvestir le faire et l’avoir au détriment de l’être. Tout ceci est bien compréhensible car toute leur jeunesse ces enfants ont eu une perception erronée de leurs besoins : sont-ils les miens ? Ceux d’autrui ?

L’anxiété, les somatisations, la dépression, les pensées suicidaires seront plus fréquentes chez ces jeunes. Les prises en charge de ces troubles seront pénalisées par le fait que ces jeunes n’auront pas appris à exprimer leurs émotions. Comment l’enfant peut dire qu’il a peur dans certaines vagues quand le projet familial est de faire de lui un champion ? C’est la double peine pour l’enfant et même la triple peine pour la famille. En effet si l’enfant n’atteint pas le sommet (et c’est la loi du sport), le risque d’effondrement narcissique et de dépression pour le parent est majeur.

4- Et si tout ça était encore la faute des médias ?

J’ai l’honneur de proposer cet article sur un site de surf (et de santé) grand public, je ne pense pas que les autres médias surf auraient manifesté un intérêt pour ce sujet. Tout simplement car le sujet n’est pas vendeur et que leur business est de nous faire rêver.

En d’autres termes il y a des facteurs contextuels qui favorisent les dérives. La performance sportive est valorisée, le surf a une bonne image et les médias friands du côté exceptionnel de jeunes enfants surfant mieux que la majorité des adultes. Ils alimentent ainsi la quête de valorisation narcissique de parents en publiant des vidéos que les parents ont eux mêmes réalisées, sélectionnées et commentées.

Conclusion

Il est légitime de pousser un enfant qui montre un potentiel dans un domaine et tout à fait sain que les parents en tirent une fierté. Vous l’aurez compris tout est histoire de limite, de frontière entre le normal et le pathologique à ne pas dépasser.

La pathologie c’est le syndrome de réussite par procuration qui peut avoir des conséquences dramatiques pour le jeune sportif et son entourage. Il faudrait idéalement apprendre à l’identifier et le prévenir dans le milieu du surf. Mais qui doit le faire ?

Les professionnels de santé ? Evidemment mais c’est difficile d’aborder ce sujet sans faire peur et sans être stigmatisant.

La fédération française de surf ou les comités départementaux? En France les instances fédérales sportives ont été historiquement créées pour que les sportifs français accèdent au haut niveau. Il pourrait donc se créer une complicité passive des entraineurs (fédéraux, de comités, de clubs ou des sponsors) par rapport aux parents souffrant d’un processus de syndrome de réussite par procuration. Ainsi un travail de sensibilisation auprès des moniteurs et des clubs serait sans doute pertinent.

Une des particularités du surf est que la majorité des compétiteurs sont gérés par les team manager des sponsors. Malgré toutes les qualités humaines de leurs équipes, il semble difficile de demander à des sponsors (généralement des entreprises textiles)  avec des exigences financières de faire de la prévention de la santé.

C’est le rôle du parent d’être protecteur et c’est même le dernier rempart. Alors qui doit alerter ceux qui « franchissent la ligne jaune » ?  Sans doute un peu tout le monde, c’est simplement du bon sens.

Une solution : Demandez-vous ce que vous feriez si votre enfant vous dit qu’il veut être champion du monde de curling… Et n’en faites pas beaucoup plus pour le surf.

Pour aller plus loin

Se référer aux travaux de Grégory MICHEL, professeur de psychologie à l’université de Bordeaux II.

Les lecteurs anglophiles pourront consulter les écrits du psychiatre Ian TOFLER. Il a également co-écrit, avec Theresa FOY DIGERONIMO, un livre qui aide les parents à gérer les enfants montrant un fort potentiel dans le sport, les arts ou un domaine académique. Ce livre a aussi pour ambition première d’apprendre aux parents à savoir séparer leurs propres rêves de ceux de leurs enfants.

A propos de l’auteur

Olivier GARCIA est psychologue clinicien spécialisé en neuropsychologie, psychologue du sport et psychothérapeute au centre hospitalier de la côte basque sur le site de Saint-Jean de Luz.

Il est également l’auteur de « Surf aptitude, préparation mentale » aux éditions Atlantica.

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