Voici un sujet sur lequel je n’ai encore jamais rien lu d’intéressant : l’amnésie du surfeur. Contrairement à un footballeur qui pourra vous décrire après un match l’action qui aura mené à un but dans les moindres détails, le surfeur est parfois incapable de se souvenir précisément de toutes les vagues qu’il a prises pendant sa session.
J’ai eu l’idée d’aborder le sujet après avoir vu la vidéo Youtube ci-dessous dans laquelle Dusty Payne et Gavin Beschen « explorent l’amnésie du tube en Micronésie. » C’est en tous cas ce qui est écrit dans le court descriptif de la vidéo (« tube amnesia »). On peut imaginer qu’après autant de tubes parfaits pendant une même session, les surfeurs ne se souviennent même plus combien ils en ont pris, comment ils se sont placés pour prendre les vagues, comment ils se sont calés dedans, ce qu’ils ont ressenti à l’intérieur… Il faut dire que le tube est un exemple à part car le surfeur s’y retrouve dans un état second, proche de la méditation selon le surfeur Dave Rastovich.
Même pour une session de surf beaucoup plus banale, il peut arriver de ressortir de l’eau sans pouvoir se souvenir de toutes les vagues que l’on a prises. En fait, cela dépend des surfeurs : certains sont capables de vous décrire avec une précision chirurgicale la moindre de leurs vagues pendant le débriefing d’après-session. C’est le cas par exemple de Kelly Slater ou d’autres surfeurs qui vivent avant tout le surf comme une performance et qui sont concentrés sur l’action.
Pour le free surfeur qui se met en « mode automatique » pour passer un moment dans l’eau en symbiose avec l’environnement, il est parfois moins facile de se rappeler de toutes les vagues prises. Il m’est déjà arrivé de ressortir de l’eau en m’extasiant de la session exceptionnelle que je venais d’avoir, mais être dans l’incapacité de me souvenir en détails des vagues que j’avais surfées, certaines s’effaçant déjà dans le brouillard de mon subconscient. J’ai également remarqué que les sessions dans le froid pouvaient favoriser ces amnésies transitoires, quant on flirte avec les premiers stades de l’hypothermie…
Pour être certain que je ne souffrais pas de troubles mnésiques, j’ai discuté de cela avec le free surfeur Anthony Harouet qui ressent un peu les mêmes choses : « Les vagues ne restent pas dans ma tête dans leur totalité. Je garde souvent un instant particulier ou une vision en mémoire. Je me souviens surtout des meilleures vagues. Je me rappelle aussi de situations bien précises où des repères extérieurs m’ont permis de fixer un moment magique dans ma mémoire, comme ce calage dans un tube avec un pote qui faisait un canard juste devant moi et que j’aurais presque pu toucher en passant… Quand je surfe une bonne vague, je la range dans mes préférées de la médiathèque de mon cerveau pour ne pas l’oublier » déclare Anthony.
Le témoignage d’Anthony montre qu’il faut bien faire un effort de concentration et de fixation des souvenirs de sessions dans sa mémoire si on veut en garder un peu. Mais ces visions furtives que l’on conserve ne sont que peu de choses à côté des sensations si intenses vécues sur la vague. Et il y a quelque chose de frustrant à ne pas pouvoir se souvenir mieux des vagues qui nous ont fait tant vibrer. C’est peut-être pour cela que les surfeurs ont un besoin viscéral de fixer leurs souvenirs sur des photos, en vidéo…ou de retourner à l’eau encore et encore.
Une autre piste de réflexion nous est donnée dans le film The Still-Point qui évoque le rapport au temps si particulier du surfeur sur une vague et des difficultés à vivre le moment présent quand on surfe.
Bien sûr, il existe des cas particuliers comme le surfeur qui a pris un coup sur la tête et qui va souffrir d’une amnésie post-traumatique. Ou encore le surfeur atteint d’une maladie d’Alzheimer qui se souviendra comment surfer mais qui oubliera toutes ses vagues au fur et à mesure. Sans rentrer dans ces cas extrêmes, il semble bien exister une amnésie antérograde du surfeur lambda sur ses vagues et il serait intéressant de mieux comprendre le mécanisme de cet oubli.
Et vous, que vous reste-t-il dans la tête après une session ? Gardez-vous en mémoire toutes vos meilleures vagues des mois voire des années après ? Ou présentez-vous aussi cette amnésie du surfeur ?
Photo : Anthony Harouet sur une vague qu’il n’est pas près d’oublier.
