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Aux défenseurs des requins qui vont à la corrida (et qui mangent du poisson)

Nous voudrions tous protéger les requins mais nous mangeons du poisson ou de la viande tous les jours. Certains disent aimer les animaux mais vont quand même se divertir à la corrida. Ne nage-t-on pas en pleine incohérence ? Suffit-il de défendre les requins bouledogues sur les forums Internet pour s’autoproclamer défenseur des animaux ? Ou la protection animale requiert-elle un peu plus de réflexion et d’engagement que cela ? Les vrais défenseurs de la Nature sont-ils vraiment ceux que l’on croit ?

Nous entretenons des rapports ambigus et paradoxaux avec la vie animale et nous portons parfois un amour à géométrie variable envers certaines espèces animales. Des associations surfent actuellement sur la sensibilité croissante du grand public envers la protection animale, en proposant une approche simpliste, réductrice et parfois agressive.

Partant de simples constatations, nous nous interrogerons sur la place que nous accordons à la sauvegarde de certains animaux, alors que l’homme n’éprouve aucun scrupule à en éliminer d’autres dans certaines circonstances. Il est intéressant de voir les petits arrangements que nous faisons avec notre conscience pour gérer cette question. Il est important d’en parler car beaucoup ne sont pas au clair avec ces questions si l’on en juge à l’incohérence de leurs réactions sur Internet, notamment sur la question de la préservation des requins qui enflamme les débats en ce moment.

Les attaques de requins à La Réunion ont amené un débat houleux sur ce que l’on pouvait faire et ne pas faire pour prévenir les risques, avec un préalable non négociable posé par des associations écologistes et la bien-pensance du moment : ne pas pêcher le moindre requin.

On stigmatise des surfeurs, dont certains sont pêcheurs, pour avoir proposé de pêcher des squales potentiellement dangereux pour l’homme à des fins préventives, ou de les neutraliser à l’aide de drumlines comme cela se fait en Australie, malgré là-bas aussi des réticences et une hostilité grandissantes du grand public.

Certains écologistes nous proposent en substance de vivre en harmonie avec les requins-bouledogues. Savent-ils seulement que ce type de requin est plus proche d’un pitbull des mers que de Flipper le dauphin ? Et qu’il menace bien d’autres poissons et requins dans la zone ?

A lire certains avis d’internautes, on se demande ce qui les pousse à s’insurger devant la pêche de quelques spécimen de requins potentiellement dangereux à La Réunion alors qu’un pays comme la France pêche des milliers de tonnes de requins chaque année dans l’indifférence générale. Au lieu de s’attaquer en priorité à la surpêche industrielle, on s’attaque à un petit groupe de surfeurs qui réfléchit à l’intérêt d’une pêche préventive. Ne se trompe-t-on pas de cible ?

Que les choses soient claires : cet article n’a pas pour but d’encourager ou de cautionner la pêche au requin, qui de toute manière ne suffira pas à résoudre le problème requin à La Réunion. Il sert avant tout à pointer du doigt la schizophrénie de certains qui font mine d’être de fervents défenseurs de la vie animale alors qu’ils ferment les yeux sur les vrais problèmes et les questions essentielles liés à la préservation des écosystèmes et au respect de la vie animale.

Pour mettre en exergue l’incohérence de certains, je prends pour exemple le cas caricatural d’une personne de ma connaissance, grand amateur de corrida, aficionado le jour, et pourfendeur des surfeurs « chasseurs de requins » sur Internet la nuit…et qui ne se rend même pas compte de l’incohérence de son jugement ! Cet exemple nous incite à nous demander ce qui rend la mort de certains animaux « acceptable » pour certains.

Pour les aficionados, la corrida serait acceptable pour des raisons « culturelles » et de tradition. Mais quand on respecte vraiment la vie animale, on ne peut qu’approuver les arguments des anti-corridas qui n’y voient que souffrance animale gratuite pour le plaisir de l’homme. La tauromachie est d’ailleurs en déclin : l’intérêt du public – et notamment des plus jeunes – diminue, les arènes se vident et on a même assisté à l’interdiction de la corrida en Catalogne en 2011. Même si la tauromachie engendre parfois des victimes humaines (blessure d’un matador, mort pendant un encierro), le combat n’en reste pas moins déséquilibré entre un taureau affaibli et un homme en pleine possession de ses moyens. La souffrance animale pour l’amusement de l’homme ne devrait plus être tolérée : même les cirques, les zoos ou les aquariums trouvent aujourd’hui leurs détracteurs. S’il y a bien une souffrance animale contre laquelle il faut lutter, c’est celle qui est subie par les animaux pour la seule distraction de l’homme.

Si l’on excepte les raisons culturelles (variables d’un pays, d’une civilisation et d’une époque à l’autre), il existe plusieurs circonstances « vitales » dans lesquelles l’homme tolère la mort des animaux.

La première raison est bien évidemment celle de se nourrir. De tous temps, l’homme a eu besoin de chasser, de pêcher pour se nourrir. Le citoyen occidental moyen oublie parfois que la viande ou le poisson qu’il consomme a eu une vie (pas toujours rose) avant de se retrouver dans son assiette. On se rend mieux compte de cette réalité quand on doit se nourrir sur une île déserte. Le fondateur de Facebook Mark Zuckerberg va même jusqu’à tuer lui-même les animaux dont il va consommer la viande pour mieux se rendre compte de ce que cela représente, et en manger moins souvent…

Doit-on pour autant tous devenir végétariens stricts ? S’ils suivent leur logique, les jusqu’au-boutistes d’une certaine vision de l’écologie devraient tous l’être en tous cas.

La deuxième raison qui pousse l’homme à tuer des animaux est celle de se protéger contre un danger réel ou une simple nuisance. Car finalement, on protège les animaux tant qu’ils ne nous dérangent ou ne nous menacent pas. C’est ainsi que des chiens « méchants » qui n’ont pas forcément la rage sont euthanasiés, c’est ainsi que l’on dératise à tout-va dès que des rats ou des souris viennent gêner des particuliers dans leurs habitations, ou que l’on démoustique pour limiter la propagation de certaines maladies comme le paludisme, la dengue ou le chikungunya. Les frelons asiatiques sont même chassés à coups de fusil (!) dans le Sud-Ouest de la France à cause de la nuisance qu’ils représentent pour les apiculteurs. A partir du moment où un animal est déclaré « nuisible » pour l’homme, celui-ci est exterminé et tout le monde trouve ça normal. L’écologiste José Bové, qui avait pourtant été le premier à prendre la défense de Paul Watson, le protecteur des requins, a même appelé récemment à « tirer sur les loups » qui menacent les troupeaux…

La question-clé est donc celle de savoir sur quels critères l’homme décrète qu’un animal est nuisible.

Pour en revenir à la problématique des requins : à partir de quand un requin est-il considéré comme « nuisible » ? A partir de 5 surfeurs, 10 ou 20 surfeurs tués dans la même zone ? Cette question ironique vient en réaction à ceux qui pensent que la mort de quelques surfeurs n’est qu’un épiphénomène.

Devant tant d’irrationalité, il ne reste plus que l’hypothèse que le requin soit devenu un animal sacré dans l’inconscient collectif. Un requin comme le bouledogue est passé du statut de poisson-poubelle à celui de « seigneur des mers », en grande partie grâce au documentaire Sharkwater. Certains ignorent cependant qu’il n’y a pas une seule espèce de requins mais des centaines. Est-il logique de laisser s’éteindre des espèces de requins inoffensives pour l’homme et de laisser proliférer les plus agressifs comme les requins-bouledogues, les tigres ou les grands blancs ?

L’ONU a annoncé hier une initiative pour protéger les Océans avec un appel à reconstituer les stocks halieutiques et à éradiquer les espèces invasives. Mais qu’est-ce qu’une espèce invasive ? Une espèce de requin qui prolifère au dépend des autres, fait disparaître les requins de récifs et, accessoirement, tue quelques surfeurs, peut-elle être considérée comme invasive ?

Accepteriez-vous de laisser une meute de pitbulls enragés évoluer en liberté dans votre quartier ? Parce que c’est un peu cela que l’on demande aux surfeurs de l’Ouest de La Réunion en ce moment…

Devant la recrudescence des attaques et la pullulation de certains requins agressifs, la question n’est plus taboue en Australie où on se demande s’il faut pêcher le grand requin blanc ou le laisser se multiplier dans des conditions environnementales qui favorisent les attaques (raréfaction des poissons au large liée à la surpêche et réserves naturelles près des côtes qui deviennent leur garde-manger).

Encore une fois, il ne s’agit en aucun cas de faire l’apologie de la chasse au requin proposée par certains, mais de poser des questions que nous n’avons pas forcément envie d’entendre.

Nous sommes pour la protection inconditionnelle des animaux mais nous ne pouvons tomber dans le raisonnement binaire de certains. Le développement durable va bien au-delà et demande une réflexion bien plus approfondie.

Cette réflexion pourrait commencer par la redéfinition de ce qu’est, ou de ce que devrait être, la pêche.

Photo : Alana Blanchard a-t-elle participé au massacre d’un poisson, ou l’a-t-elle simplement pêché ?

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