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Andy Irons et la drogue : pourquoi le milieu du surf a-t-il caché la vérité ?

Andy Irons a vécu une vie de rock star mais il a brûlé la chandelle par les deux bouts. Il connaissait de sérieux problèmes avec l’alcool et la drogue. Tout le monde le savait dans le milieu du surf, et pourtant personne n’a jamais osé aborder le sujet publiquement. Était-ce pour protéger Andy Irons ou plutôt pour ne pas nuire à l’image de marque de certaines multinationales du surf business (comme le suggèrent certaines personnes du milieu dont les voix se sont élevées sous couvert d’anonymat) ?

Une loi du silence quant aux déboires d’Andy Irons avec la drogue aurait été imposée par certains acteurs du surf business. C’est ce que révèle le photographe Art Brewer dans un article de Brad Melekian qui vient d’être publié dans Outside. Après qu’Andy Irons ait failli mourir des suites d’un coma éthylique en 1999 en Indonésie, l’un des sponsors d’Irons aurait explicitement demandé à Brewer de ne jamais raconter un mot sur cet épisode. Brewer aurait alors demandé si quelqu’un allait veiller sur Andy après ça mais c’est tout de suite devenu un sujet tabou, tout le monde a très vite zappé et personne n’en a eu plus rien à faire… Cette histoire fait pourtant froid dans le dos quand on s’y intéresse. Au retour d’un surf trip aux Mentawaii, Andy Irons avait été retrouvé dans sa chambre d’hôtel à Padang en arrêt cardio-respiratoire après avoir consommé une grande quantité d’alcool. Admis dans un hôpital puis dans un autre mieux équipé avec Unité de Soins Intensifs, il aurait finalement été réanimé après plusieurs arrêts cardiaques.

Une semaine seulement après avoir frôlé la mort, Andy Irons était à nouveau ivre à la « grosse soirée » annuelle de Surfer Magazine… Le problème est peut-être là justement : les surfeurs professionnels sont pris dès le plus jeune âge dans un tourbillon festif. Ils sont incités à boire à l’occasion des soirées organisées pour chaque compétition. L’un des plus hauts lieux de « fête » est…le Sud-Ouest de la France où les surfeurs disent souvent être allés le plus loin dans l’intempérance. Comme l’exprime très bien Taj Burrow : « Partout où l’on passe, c’est la plus grosse fête de l’année et tu ne peux pas éviter d’y participer… »

Qu’on le veuille ou non, il y a une culture de la murge dans le surf très comparable à celle de la troisième mi-temps en rugby. Je sais de quoi je parle pour l’avoir vécu de l’intérieur. La plupart des jeunes surfeurs arrivent à faire la part des choses : certains ne boivent pas ou peu, certains savent s’arrêter de boire à temps mais des jeunes surfeurs fragiles, comme l’était sûrement Andy Irons, peuvent sombrer dans la spirale de l’alcoolisme et de la course à la défonce. Tant que les mentalités ne changeront pas, on continuera à voir de jeunes surfeurs se gâcher dans la fête. Il faut bien prendre conscience que ces jeunes surfeurs (et surfeuses) talentueux se retrouvent à gérer leur popularité et beaucoup d’argent sans avoir forcément leurs parents ou des personnes de confiance à leurs côtés.

Le surf business et les journalistes de la plupart des magazines de surf ont voulu faire croire au « monde du surf des Bisounours » en essayant de cacher ce genre d’histoire de surconsommation d’alcool, de drogues et d’overdose(s) sous le tapis. Un an après le retrait d’Andy Irons du circuit, Surfline avait publié une interview fin 2009 pour soi-disant tout savoir sur le surfeur, sauf que le journaliste avait bien pris soin de parler de tout… sauf de ses problèmes avec la drogue et de la cure de désintoxication qu’il avait subie. Cet article avait été repris par le site Internet du magazine français Surf Session sans que le sujet ne soit davantage évoqué. J’avais alors commenté l’article en écrivant : « Les journalistes du milieu du surf sont vraiment incroyables : ils arrivent à poser 50 questions à l’intéressé sans lui en poser une seule sur ce qui brûle les lèvres à tout le monde : où en est Andy Irons avec la drogue ? Ou que pense-t-il de ces rumeurs persistantes (infondées ?) qui circulent sur la Toile ? Mais chut, les addictions sont un sujet tabou dans le monde du surf… » Le PDG de Billabong aurait lui aussi refusé de s’exprimer sur le sujet de savoir s’il était au courant des addictions d’Andy Irons. Mais comment pouvait-il l’ignorer ?

Comme le dit le responsable d’une marque qui a souhaité rester anonyme : « Nous ne cherchons pas à faire de la publicité sur certains aspects du comportement de nos athlètes« . Autrement dit, on ne révèle que ce qui nous arrange sur la personnalité de nos surfeurs, quitte à cacher la réalité.

Pourtant, ce n’est pas parce qu’un surfeur fait son coming-out sur son alcoolisme ou sa toxicomanie qu’on cesse de l’apprécier, bien au contraire. Des surfeurs comme Darryl « Flea » Virostko et Peter Mel ont avoué récemment leur usage de méthamphétamine et se sont engagés dans une cure de désintoxication par la surf thérapie. Mark Occhilupo n’a pas non plus caché ses problèmes avec la drogue pendant la « black period » qui a précédé son come-back. Le jeune Owen Wright a avoué publiquement qu’il arrêterait ses excès avec l’alcool.

Il est souvent thérapeutique de libérer sa parole quand on a ce genre de problème d’addiction. En parler est le premier pas vers le sevrage. Mais a-t-on laissé Andy Irons s’exprimer ? Ou lui a-t-on gentiment mais fermement intimé de la boucler sur ses problèmes avec la dope ? Personne n’en parlait, sauf des internautes qui laissaient des commentaires parfois malveillants sur les vices cachés d’Andy Irons sur les forums de discussion. Quand l’intéressé lisait ces commentaires souvent exagérés par rapport à la réalité, cela lui faisait du mal mais il n’avait aucun moyen de répondre ou de rétablir la vérité. Andy Irons aurait songé faire une déclaration sur son état mais certains sponsors du surfeur s’y seraient opposés d’après des observateurs avertis.

Selon la version officielle, la drogue et les médicaments ne sont que des facteurs contributifs au décès d’Andy Irons. Ces problèmes lui auront fait endurer une existence parfois difficile et torturée dont il était pressé de finir d’après certains de ses amis comme Koby Abberton. Ses accès de binge drinking ne témoignaient-ils pas d’un profond mal-être ? Quand on boit jusqu’à en mourir, il peut s’agir d’un équivalent suicidaire. Et on peut se demander si les prises de risques extrêmes d’Andy Irons – que ce soit dans les vagues à Pipeline ou avec sa consommation de drogue – n’étaient pas des appels à l’aide.  Mais ces conduites suicidaires ont-elles été prises au sérieux ? Pour dépister l’usage de substances nocives, il aurait fallu pratiquer des contrôles anti-dopage sur Andy Irons. Mais l’ASP n’en a jamais fait (ou ne les a jamais rendus publics) dans le cadre d’une politique de l’autruche qui consiste à fermer les yeux sur les problèmes de toxicomanie ou de dopage des surfeurs professionnels (les contrôles anti-dopage ne sont apparus qu’après le décès d’Andy).

Chez ce jeune surfeur qui avait des problèmes d’addiction, et peut-être aussi des problèmes psychiatriques, que lui a-t-on proposé ? Un suivi par un médecin psychiatre ou addictologue sur le World Tour ? Non, un sponsor par une marque de boissons énergisantes pour le speeder et le détraquer encore un peu plus… Irons devait boire ses « energy drinks » le jour et prendre des calmants et des somnifères pour dormir la nuit. Sans oublier le soutien des bracelets magiques Power Balance qui n’ont certainement pas aidé à lui faire retrouver un équilibre.

En 2008, d’insistantes rumeurs émanant de personnes bien informées circulaient sur une nouvelle overdose d’Andy Irons. Là encore, on n’a jamais su ce qui s’était réellement passé car l’affaire a été soigneusement étouffée. Quand Surf Prevention a proposé de mettre en place une grande campagne de prévention des addictions et de l’alcoolisme chez les surfeurs, aucune des majors du surf n’a accepté de subventionner cette campagne car c’était « un sujet trop délicat à aborder ».

Malheureusement, la triste mort d’Andy Irons a renvoyé comme un boomerang la triste réalité au visage de ceux qui essayaient encore de la cacher. Andy Irons a été retrouvé mort dans une chambre d’hôtel avec au pied de son lit un médicament anxiolytique générique du Xanax et une boîte de somnifères (Ambien : zolpidem) contenant de la Méthadone, généralement utilisée comme traitement de substitution à l’héroïne ou à des médicaments opiacés comme l’OxyContin (connu sous le nom d' »héroïne du pauvre »).

On ne sait pas quelle était la place de ces médicaments entre la consommation d’alcool et de drogues « récréatives »consommées par Andy Irons mais une chose est sûre : les trois font très mauvais ménage. Et comme pour Michael Jackson, il y a peut-être un médecin « dealer en blouse blanche » qui prescrivait ces psychotropes en plus de sa consommation avouée d’alcool, de drogue et de boisson énergisante (dont la combinaison avec l’alcool peut être fatale) ! Ce mélange explosif n’a pu que contribuer à affaiblir le champion de surf.

Le monde du surf a son Kurt Cobain et pourra faire vendre de beaux livres et un film sur le destin tragique d’Andy Irons, mais peut-il vraiment continuer à se regarder dans une glace ?  J’espère que le milieu du surf se rachètera en lançant une véritable campagne de prévention de l’alcoolisme et des toxicomanies chez les jeunes surfeurs, en mémoire d’Andy Irons, pour éviter qu’un autre talent brut ne se perde dans les méandres des enfers artificiels. Ne rien faire, c’est laisser faire, comme dirait l’autre. Les marques de surf comme le sponsor majeur d’A.I vont-elles se contenter de leur campagne publicitaire post-mortem « in loving memory of Andy Irons » ou vont-elles essayer d’aller plus loin en s’intéressant enfin à la santé des jeunes surfeurs qu’elles sponsorisent ?

La drogue est un fléau chez les jeunes à Hawaii, d’où est originaire Andy Irons, et les marques ont une occasion inédite de s’attaquer enfin à ce problème au lieu de l’occulter. Elles en ont les moyens financiers et logistiques mais ont-elles seulement envie qu’on associe leur image lisse à la drogue ? Réinvestir un peu de tout l’argent qu’Andy Irons a fait gagner au surf business dans la prévention des conduites addictives serait le meilleur moyen d’honorer sa mémoire, pour éviter que d’autres jeunes subissent son calvaire.

Lire aussi : – le rapport d’autopsie d’Andy Irons.

Photo d’illustration : Andy Irons apparaît aux côtés des membres du groupe de hard rock Metallica dont l’un s’est sorti de l’alcool et de la drogue grâce au surf.

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