Quand on parle surf ou sports extrêmes, il n’est plus possible d’échapper à la publicité omniprésente pour les boissons « énergisantes » type Red Bull ou autres « Energy Drinks » (Monster, Rockstar, Burn, etc.).
Ce marketing est fructueux puisque plus de 4 milliards de cannettes de Red Bull se sont écoulées l’année dernière. Les jeunes sont en première ligne pour en consommer, sans forcément connaître les caractéristiques de ces boissons, leurs effets indésirables potentiels et les risques liés à leur consommation.
Depuis le dernier article sur le sujet publié sur Surf Prevention au moment de la commercialisation en France, une mise à jour s’imposait. La présence de Red Bull dans le milieu du surf est telle que les pratiquants doivent être informés sur ces boissons de manière éclairée et indépendante. Il est en effet très difficile de trouver une information critique sur ces boissons dans les médias destinés aux jeunes sportifs.
Nous nous penchons principalement ici sur le cas du « Red Bull Energy Drink », produit le plus vendu de cette catégorie des boissons énergisantes (à ne pas confondre avec les boisssons énergétiques).
Des champions de surf comme Michel Bourez, Julian Wilson, Jamie O’Brien, Maya Gabeira... portent haut les couleurs de la marque aux taureaux rouges « qui donne des ailes ». A l’occasion de la dernière compétition de surf majeure à Bells Beach, les deux vainqueurs australiens Mick Fanning et Sally Fitzgibbons (photos), sont ressortis de l’eau en brandissant une cannette de Red Bull, devenue un symbole publicitaire de réussite.
Le phénomène retentit sur la pratique du surf amateur, puisque quand le site Australian Surfing Life demande aux surfeurs ce qu’ils prennent avant une session, environ 2 surfeurs sur 10 répondent un energy drink (Red Bull, V ou Mother).
Compte-tenu de l’importance de la consommation de ce genre de boissons par les jeunes, il paraît important de mieux connaître ces produits et les précautions à prendre si on est amené à en consommer.
Le principe actif majeur de ces boissons est la caféine, que l’on retrouve également dans le café, le thé, les colas… Il faut garder en tête que la surconsommation répétée de caféine peut entraîner des troubles anxieux ou des troubles du sommeil, que l’on peut développer une accoutumance, une dépendance à la caféine, ou même s’intoxiquer avec (caféisme) voire en mourir. La consommation d’une boisson caféinée impose avant tout la modération et la prudence chez les personnes à risques (voir ci-dessous).
Selon Red Bull, la consommation de « Red Bull Energy Drink » serait limitée uniquement par sa teneur en caféine. Une canette de 250 ml de Red Bull Energy Drink contient 80 mg de caféine, soit l’équivalent d’un peu plus de 2 tasses de café de 120 ml. La consommation maximum de Red Bull devrait – selon la marque – correspondre à la quantité de café qu’une personne peut absorber. Mais il y a d’autres ingrédients dans ces boissons énergisantes dont on connaît encore mal les propriétés et les interactions* avec la caféine.
Toujours selon Red Bull, la dose maximale de caféine quotidienne serait de 400 mg (300 mg pour une femme enceinte), ce qui paraît déjà très élevé. Les effets de la caféine peuvent se faire sentir à des doses largement inférieures, à partir de 100 mg, et pour certains auteurs la dose maximale quotidienne ne serait que de 200 mg. 50 mg de caféine peuvent suffire chez certaines personnes à déclencher une tachycardie ou une agitation. Tout dépend de la sensibilité individuelle, de l’âge et de l’état du consommateur.
Red Bull rappelle néanmoins que ses produits ne correspondent pas à tous les publics : les enfants étant plus sensibles à la caféine que les adultes, Red Bull ne recommande pas la consommation de Red Bull Energy Drink aux enfants, ni aux individus sensibles à la caféine. Il est important de le préciser car les enfants sont de plus en plus exposés à la consommation d’ « energy drinks » et les pédiatres s’en inquiètent. D’un côté Red Bull « ne recommande pas » sa boisson aux enfants, de l’autre la marque sponsorise des camps d’entraînement pour les jeunes surfeurs…
Les boissons « Red Bull Energy Drink » contiennent du sucre en quantité importante (11 grammes de glucose et saccharose par 100 mL). Le fabricant minimise en avançant que certains jus de fruits en contiennent autant, mais à une époque où on essaye de limiter l’épidémie d’obésité chez les jeunes, il faut rappeler que la modération s’impose dans la consommation de boissons aussi sucrées dans le cadre d’une alimentation équilibrée.
A noter que la version Red Bull Sugar-free contient de l’aspartame, un édulcorant contenu dans les sodas light dont l’innocuité sur la santé n’a toujours pas été établie avec certitude.
En ce qui concerne la taurine et glucuronolactone, Red Bull donne en référence une expertise de l’Autorité européenne de sécurité des aliments sur la taurine et le glucuronolactone datant de 2009 qui conclut que les principaux ingrédients des boissons énergisantes aux doses du Red Bull seraient « sans danger ». Selon l’IRBMS (Institut Régional du Bien-etre, de la Médecine et du Sport), la taurine présente en quantités importantes dans ces boissons énergisantes pourrait entraîner une hyperexcitabilité neurologique et des troubles du comportement. Les effets de doses importantes de glucuronolactone dans ces boissons sont encore mal connus et invitent à suivre le principe de précaution.
– Le Red Bull est-il une boisson d’hydratation du sportif ?
Comme le rappelle la marque sur son site Internet, « Red Bull Energy Drink n’a pas été conçu pour réhydrater« . Elle contient de l’eau en provenance des Alpes certes, mais elle est très pauvre en sodium, indispensable pour une bonne (ré)hydratation pendant ou après l’effort.
Il faut donc s’hydrater préférentiellement avec de l’eau minérale ou des boissons énergétiques avant, pendant et après l’effort sportif.
Les energy drinks ne sont pas adaptés pour s’hydrater avant une session intense.
– Le Red Bull permet-il d’augmenter ses performances ?
Dans un fascicule consacré aux effets bénéfiques du Red Bull pour le sport, Red Bull met en avant des études scientifiques qui lui sont favorables. Mais ne vous attendez pas à lire une revue de la littérature exhaustive sur le sujet.
Est notamment citée une étude de l’University of Texas¹ qui a montré une amélioration de la performance d’endurance chez des cyclistes ayant consommé 500 ml de Red Bull Energy Drink, 40 minutes avant un effort d’une heure de course à 70% de la charge maximale, sans augmentation de l’effort ressenti par rapport au groupe placebo.
Une étude espagnole vient de conclure que la consommation de Red Bull sans sucre chez des joueurs de football, à raison de 3mg de caféine par kilo de poids (soit 656 mL pour un joueur de 70 kg) une heure avant l’effort, augmentait leurs capacités à sprinter et à sauter en hauteur.
En faisant une rapide recherche sur PubMed, on trouve d’autres études moins avantageuses pour les energy drinks comme cette étude canadienne chez des étudiants, cette étude chez des sprinteuses, ou encore celle-ci qui conclut à l’absence d’améliorations des performances au sprint chez des joueurs de football ayant consommé une boisson énergisante riche en caféine et en taurine (AdvoCare Spark).
Il n’existe pas d’étude publiée sur l’impact de la consommation de boissons énergisantes sur les performances en surf, à notre connaissance.
Pour statuer sur l’impact des boissons énergisantes sur les performances sportives, une méta-analyse d’études à l’échantillon suffisamment large et à la méthodologie irréprochable serait nécessaire, mais une question éthique se pose : peut-on légitimement exposer des personnes – et notamment des jeunes – à ce genre de boissons dans le cadre d’une étude, compte-tenu des effets indésirables potentiels ? Réaliser des études sur l’impact de ces boissons énergisantes sur les performances sportives n’équivaut-il pas à rentrer dans le jeu de ces marques ? Une question préalable paraît essentielle : peut-on conseiller ce type de boissons à de jeunes sportifs ? Si oui, à quelles doses ? C’est aux autorités médicales et scientifiques de répondre à ces questions déontologiques.
– Les boissons énergisantes présentent-elles des dangers pour la santé ?
En Australie, des chercheurs se sont penchés² sur les personnes ayant contacté un centre anti-poison après ingurgitation d’une boisson énergisante (mêlée à la consommation d’autres produits pour environ la moitié des cas). 87% des 217 sujets ayant consommé des boissons énergisantes dans un « usage récréatif » ont rapporté des symptômes : palpitations cardiaques, agitation, tremblements, troubles gastro-intestinaux. Ont également été décrits des maux de tête, des douleurs thoraciques, des vertiges, des paresthésies, des troubles du sommeil. 21 patients ont présenté des signes graves d’intoxication au niveau neurologique ou cardiaque incluant des crises d’épilepsie, des arythmies cardiaques ou une ischémie cardiaque. 128 sujets (dont 57 avaient consommé uniquement des energy drinks) ont nécessité une hospitalisation.
Un arrêt cardiaque chez un jeune homme de 28 ans sans antécédent a été décrit après l’ingestion de plusieurs cannettes d’energy drinks (7 cannettes en 7 heures environ) pendant une épreuve de motocross.
Une étudiante de 21 ans est morte en boîte de nuit après avoir consommé plusieurs cannettes de Red Bull et plusieurs vodkas caféinées. La caféine contenue dans ces boissons aurait pu favoriser un trouble du rythme ventriculaire sur un syndrome du QT long non diagnostiqué du vivant de cette jeune fille épileptique. La responsabilité des boissons n’a pas été établie et le légiste a conclu à une « mort naturelle ».
*Une étude de l’University of Arkansas vient de montrer qu’une dose de 250 mL de Red Bull augmentait plus la tension artérielle sur la journée qu’une autre boisson témoin contenant uniquement la même quantité de caféine. Ce qui tendrait à confirmer que d’autres ingrédients des boissons énergisantes potentialisent l’effet de la caféine.
– Personnes à risques :
Certaines personnes doivent rester extrêmement prudentes avec ce genre de boissons et s’abstenir d’en consommer : c’est le cas des enfants³, des femmes enceintes, des personnes épileptiques, des personnes présentant une malformation cardiaque, des troubles du rythme comme un syndrome de Wolff-Parkinson-White, des facteurs de risques cardio-vasculaires (risques de mort subite), des diabétiques, des personnes présentant des troubles psychiatriques ou une fragilité psychologique…
La consommation de boisson énergisante est à proscrire en cas de poly-consommation d’alcool et /ou de drogues.
Au moindre doute, demandez conseil à votre médecin.
– Les boissons énergisantes et l’alcool :
La crainte exprimée par certains spécialistes de la nutrition est que les nouveaux arômes proposés par Red Bull ne servent à réaliser de nouveaux cocktails chez les jeunes.
Red Bull ne déconseille pas les mélanges de ses boissons avec de l’alcool, tout en invitant à la modération en ce qui concerne les boissons alcoolisées.
Une étude avait pourtant montré que le mélange alcool-energy drink diminuait la sensation d’ébriété et augmentait les conduites à risque comme la prise du volant sous l’empire alcoolique.
Note de Surf Prevention : les symptômes liés à l’alcoolisation sont des signes qui indiquent que l’on a trop bu. Masqués par une boisson énergisante, ces signaux d’alerte peuvent passer inaperçu et conduire le fêtard à poursuivre sa consommation au-delà du raisonnable.
– Boissons énergisantes, dopage et conduites dopantes :
Le Red Bull ne peut plus être considéré comme une boisson dopante depuis que la WADA (Agence Mondiale Anti-Dopage) a retiré la caféine de la liste des substances dopantes en 2004. Mais la consommation de telles boissons énergisantes s’inscrit dans le cadre de conduites dopantes : on recherche un moyen artificiel d’augmenter ses capacités physiologiques. Ce n’est pas du tout la même démarche que celle de consommer un produit pour survenir à ses besoins naturels et utiliser au mieux ses capacités, sans chercher à les booster artificiellement.
Plus que le produit en lui-même, c’est la communication autour de ces boissons énergisantes qui interpelle : on propose ni plus ni moins au consommateur de prendre ces boissons pour augmenter ses capacités (on peut d’ailleurs lire sur les cannettes de Red Bull l’allégation santé « vivifie le corps et l’esprit ») et « tenir » : « pour le sport » mais aussi « au travail », « pendant les cours et les études », « pour sortir – jour et nuit » (!), pour jouer aux jeux vidéos et même pour rester éveillé sur la route… Le fabricant propose de boire un Red Bull avant, je cite, « que vos paupières ne deviennent lourdes« … Même si une étude avance l’efficacité du Red Bull sur les performances à la conduite automobile sur autoroute, ce discours ne lasse pas de surprendre. Quand vous ressentez de la fatigue au volant, le premier réflexe à avoir est de faire une escale au plus vite pour dormir. Faut-il rappeler que la somnolence est un facteur majeur de mortalité sur autoroute et que sa meilleure prévention reste le sommeil ?
Après une dure journée ou une longue soirée, la fatigue est le signal pour aller se coucher. La consommation d’excitants n’est pas la solution. Si la consommation d’une boisson caféinée peut se concevoir pour « tenir » quand on ne peut pas faire autrement, celle-ci doit rester exceptionnelle et ne pas devenir un réflexe quotidien pour repousser toujours plus loin les limites de la fatigue imposées par son organisme, si on ne veut pas le détraquer durablement.
Conclusion :
Les mises en garde du corps médical sont à peine audibles au milieu des allégations rassurantes des marques et de leur puissance marketing. C’est aux autorités de santé, aux instituts de prévention et aux fédérations sportives de s’emparer de ce dossier et de faire la part des choses pour mieux informer et encadrer la consommation de boissons énergisantes.
Une meilleure sensibilisation des jeunes sportifs paraît indispensable pour prévenir les effets indésirables liés à une consommation inadaptée de telles boissons. L’information doit se faire en priorité en direction des athlètes, des parents, des entraîneurs, des médecins…
Plus de recul et de nouvelles études approfondies sont encore nécessaires pour préciser les effets de telles boissons, et notamment les effets à long terme d’une consommation régulière.
Ce type de boisson ne devrait pas se boire comme du petit-lait et les mises en garde devraient être plus explicites pour limiter les risques liés à une surconsommation ou à des mélanges avec l’alcool. Les personnes à risques devraient être prioritairement ciblées par des campagnes de sensibilisation.
Ces boissons énergisantes ne peuvent pas suffire à l’hydratation correcte d’un sportif. Les professionnels s’accordent également pour dire qu’elles n’ont pas non plus un grand intérêt nutritionnel. Quel intérêt de consommer ce type de boisson vous demanderez-vous ? A part peut-être celui de ressembler à son champion de surf favori…
La consommation d’une boisson devrait se faire avant tout pour satisfaire ses besoins physiologiques et pour le plaisir, et non pour modifier artificiellement le fonctionnement de son organisme.
Surf Prevention ne déclare pas de conflit d’intérêts dans la rédaction de cet article.
Lire aussi : que faut-il penser des boissons énergisantes ?
Références :
Vous trouverez la plupart des études de référence en cliquant sur les liens hypertexte.
http://www.irbms.com/boissons-energisantes/
1 Ivy J.L., Kammer L., Ding Z., Wang B., Bernard J.R., Liao Y.H., Hwang J., Cycling time trial performance improved by ingestion of a caffeine energy drink. International Journal of Sports Nutrition and Exercise Metabolism 2009; 19: 61-78.
2 Naren Gunja and Jared A Brown. Energy drinks: health risks and toxicity. Med J Aust 2012; 196 (1): 46-49.
3 Sara M. Seifert, Judith L. Schaechter, Eugene R. Hershorin and Steven E. Lipshultz. Health Effects of Energy Drinks on Children, Adolescents, and Young Adults. DOI: 10.1542/peds.2009-3592. Pediatrics published online Feb 14,2011.