Hélicoptère totalement inadapté au transport d’un traumatisé du rachis cervical qui a pourtant servi à secourir Darren Longbottom.

Les Mentawaii sont présentés par les media du surf comme un paradis terrestre pour leurs vagues parfaites. Mais on occulte trop souvent le danger qu’il y a à partir sur ces îles éloignées de toute assistance sanitaire.

S’il se passe quelque chose, il n’y a pas d’hôpital à proximité, rarement un médecin à bord du bateau et parfois pas de trousse à pharmacie (ou personne qui ne sache l’utiliser…).

Darren « Dazza » Longbottom (le grand frère de Dylan), surfeur australien expérimenté de 35 ans et patron de Surf Shop à Kiama, l’a appris à ses dépens à la suite d’une mauvaise chute lors de son premier trip aux Mentawaii. Son histoire est riche d’enseignements…

La scène se passe le 20 Mai 2008 alors que Darren et ses potes se retrouvent sur le bateau Barrenjoey au sud des îles Mentawaii. Ils surfent sur la gauche de récif de Thunders qui casse au large de la petite île de Sibigau. Ce matin-là, les vagues ne faisaient que 1,20 m à 1,50 mètres. Ils prennent des vagues en surf tracté mais l’accident de Darren est survenu sur une vague prise à la rame.

A 8 heures du matin, en finissant de surfer une gauche qui allait fermer, Darren est sorti en sautant par derrière la vague. Il s’est littéralement envolé à 2 mètres de hauteur au-dessus de la lèvre mais il est malheureusement retombé tête la première sur sa planche qu’il a cassée en deux. C’est à ce moment précis que le traumatisme s’est produit…

Note de Surf Prévention: quand vous finissez une vague, ne vous jetez pas n’importe comment et surtout évitez, si possible, de partir la tête la première.

Darren Longbottom s’est brisé le cou en percutant sa planche et a été victime d’un traumatisme grave du rachis cervical. Il s’est retrouvé paralysé dans l’eau et aurait pu se noyer si le jet ski piloté par l’un de ses camarades (Ian Stewart) n’était pas arrivé immédiatement à la rescousse. Ses amis ont rapidement saisi la gravité du traumatisme et ils ont fait ce qu’il fallait pour le protéger et le sortir de l’eau en utilisant le rescue sled du scooter des mers. Le skipper du bateau s’est chargé de passer l’alerte.

Darren Longbottom a été correctement conditionné sur le bateau: il a été immobilisé allongé et un collier cervical lui a été posé. Sur un site Internet d’informations australien, Darren a déclaré: « à ce moment-là, je pensais surtout à ma famille et j’avais juste envie d’arriver rapidement dans un foutu hôpital ». Mais il n’imaginait pas encore le parcours du combattant qui l’attendait…

Par chance, deux médecins français (le Docteur Jean-Marc Pérès chirurgien biarrot et un confrère radiologue réunionnais) se trouvaient sur un autre bateau (le Midas) à proximité. Mais le temps que leur skipper soit averti et qu’ils se rendent sur zone, trois bonnes heures s’étaient déjà écoulées. Une fois à bord, ils ont diagnostiqué une plaie du cuir chevelu et surtout une paralysie haute proche de la tétraplégie (paralysie totale des membres inférieurs, usage très limité des membres supérieurs avec un niveau sensitif au niveau des épaules). Ils ont mis en route les premiers soins et ont rassuré le patient et l’équipage par leur présence. Ils ont préféré laisser le patient, peu douloureux, à jeun en prévision d’une possible intervention chirurgicale dans les prochaines heures.

Il fallait alors trouver une solution pour rejoindre le village de Padang sur la côte Ouest de Sumatra (rien à voir avec Padang Padang à Bali).

Impossible d’y aller directement en bateau car cela aurait mis plus de 20 heures et le roulis aurait pu déplacer sa fracture cervicale et aggraver les lésions de la moelle épinière du surfeur: une lésion des nerfs phréniques aurait entraîné une paralysie du diaphragme qui aurait pu être fatale en l’absence d’assistance ventilatoire pour aider le patient à respirer.

La « meilleure » solution, ou la moins mauvaise plus exactement, fut de retrouver le Docteur Derek Allen et son hélicoptère au village de Sikakap situé au sud-est de la grande île de Pagai Utara.

Ce médecin néo-zélandais, basé à Gunung Sitoli sur l’île de Nias, fait ce qu’il peut pour exercer son art bénévolement sur un terrain aussi difficile que cette région de l’Indonésie. Sur ce coup-là, il a vraiment dû improviser en toute illégalité (son hélicoptère n’était pas en règle auprès des autorités indonésiennes) pour secourir Darren Longbottom.

Le Barrenjoey a mis 3 heures pour arriver au point de rendez-vous au port de Sikakap et ils ont dû attendre le Dr Allen plus d’une heure.

Après concertation, les deux médecins français et le Dr Allen ont décidé d’utiliser l’hélicoptère pour conduire Darren Longbottom à Padang. A vrai dire, ils n’avaient pas d’autre choix: il s’agissait d’une question de vie ou de mort…

Encore fallait-il immobiliser correctement ce gaillard de 1,80 m pour 95 kg et le faire rentrer dans le minuscule hélicoptère 2 places (un Robinson R22).

« Nous avons dû utiliser les moyens du bord en attachant le patient à sa planche de surf cassée (note de Surf Prévention: pour faire office de plan dur) et en l’immobilisant à l’aide de serviettes » a raconté le Docteur Pérès joint au téléphone par Surf Prévention.  

L’installation du surfeur dans cet engin absolument pas homologué pour un transport médicalisé aurait pris 2 heures supplémentaires. Compte-tenu de l’exiguïté de l’hélicoptère, il était impossible de faire voyager le blessé allongé mais les médecins se sont ingéniés à l’installer en respectant l’axe tête-cou-tronc qui doit toujours rester droit en cas de suspicion de traumatisme de la colonne vertébrale. La planche cassée a été mise en porte-à-faux sur le siège de façon à créer un plan incliné à 45°. Le patient a été positionné avec les genoux fléchis en butée contre la vitre avant de l’hélico, bien calé avec des coussins.

Comme l’hélicoptère n’avait pas assez d’essence pour faire le trajet jusqu’à Padang, il a dû se réapprovisionner avec un jerrican contenant le carburant du bateau… Il a pu enfin décoller une dizaine d’heures après l’accident.

Après 2 heures de vol, la tombée de la nuit les a forcés à atterrir en catastrophe à Tarusan Cerokok (à 2 heures de Padang) derrière un terrain de football. Darren se souvient avec effroi d’une scène surréaliste avec plusieurs centaines d’Indonésiens tournant autour de l’hélico en chantant et en gesticulant…

Au bout de 2 heures, une ambulance a fini par arriver et l’a conduit à l’aéroport de Padang qui était…fermé ! Ce n’est que 2 heures plus tard que des médecins singapouriens l’ont rejoint pour le rapatrier sur Singapour: l’avion de rapatriement n’a décollé qu’à minuit trente heure locale.

Darren est arrivé à Singapour où une fracture des vertèbres C6 et C7 a été diagnostiquée. Une intervention chirurgicale a été nécessaire pour réduire et stabiliser la fracture en soudant les vertèbres par ostéosynthèse.

Deux semaines et demi plus tard, il a reçu l’autorisation d’être transféré en Australie dans un service spécialisé du Sydney’s Royal North Shore Hospital où il devait rester environ un mois avant de rejoindre un centre de rééducation.

Malgré l’opération, Darren n’a qu’un usage limité de ses bras et il reste totalement paralysé au niveau des membres inférieurs; il n’a plus de sensibilité en-dessous de la poitrine. Même si les médecins espèrent encore une amélioration modeste, Darren ne devrait plus pouvoir surfer debout car la science ne sait toujours pas réparer une moelle épinière sectionnée.

Sa femme et sa fille le soutiennent. Son frère Dylan s’est posé quelques questions après l’accident mais il ne remet pas en cause sa carrière de surfeur de grosses vagues pour autant.

Cette histoire amène à réfléchir très sérieusement sur le matériel de premiers secours dont chaque bateau devrait disposer pour un « boat trip » de surfeurs aux Mentawaii.

Une réflexion vient d’être engagée par le Dr Pérès justement, surfeur habitué des Mentawaii, et le Dr Tarak Mokni (responsable du SAMU du Centre Hospitalier de la Côte Basque) pour faire intervenir une compagnie d’assistance indonésienne depuis les Mentawaii vers Singapour dans des délais acceptables et avec des moyens adaptés pour les prochains surfeurs qui subiront un accident grave ou présenteront un problème médical (neuropaludisme, septicémie…), cardiaque (infarctus du myocarde,…) ou chirurgical (péritonite,…) nécessitant une évacuation d’urgence.

La morale de cette histoire: un pote médecin et une copine infirmière ne sont jamais de trop sur un boat trip en Indo…

D’autres informations sur le site Internet de Australia’s Surfing Life: http://surfinglife.com.au/cms/index.php?option=com_content&task=view&id=1853&Itemid=4

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Surf Prevention est le site sur le Surf, la Sécurité, la Santé et l'Environnement.

 

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2 Commentaires

  1. Des nouvelles de Darren qui n'a malheureusement pas beaucoup récupéré 9 mois après son accident de surf et qui risque de ne plus jamais marcher ni surfer debout. Pour garder l'espoir il s'appuie sur sa femme et sa petite fille : http://www.illawarramercury.com.au/news/local/news/general/injured-surfer-finally-home-with-family/1426225.aspx

  2. 3 ans après, on apprend que l’hélicoptère du Dr Derek Allen est toujours immobilisé par les autorités locales.

    Cet article de SurfingLife met en garde contre l’impossibilité de se faire évacuer en urgence en cas d’accident grave aux Mentawai avec des surf camps et des organisateurs de boat trips incapables de parer à une urgence vitale : http://www.surfinglife.com.au/news/sl-news/9603-nightmare-avoided-but-for-how-long

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