A la lumière des connaissances scientifiques actuelles, il n’y a pas lieu de croire que le milieu marin pourrait être un vecteur de propagation du SARS-CoV-2 à l’origine de la pandémie de Covid-19.

Mise au point suite à des publications alarmistes qui ont fait le buzz ces derniers jours sur les réseaux sociaux.

C’est un article du Los Angeles Times publié en ligne le 2 Avril 2020 qui a mis le feu aux poudres et a inutilement inquiété les surfeurs et plagistes du monde entier.

Cet article anxiogène est intitulé : « Coronavirus at beaches ? Surfers, swimmers should stay away, scientist says » (« Coronavirus sur les plages ? Les surfeurs et les nageurs devraient rester à distance, dit une scientifique »).

Rien que le titre est l’exemple même de ce qu’il ne faut pas faire en journalisme, mais qui est redoutable pour propager une fake news en générant un maximum de clics.

Le titre commence par une interrogation et y répond par une citation d’une scientifique totalement sortie de son contexte. La scientifique en question a publié un démenti depuis (voir traduction ci-dessous).

L’article se base sur le témoignage tronqué et déformé de la scientifique Kim Prather, une chimiste atmosphérique reconnue de la Scripps Institution of Oceanography.

Il commence par cette citation qu’aurait prononcée la scientifique : « Je n’irais pas dans l’eau même si on me payait $1 million immédiatement ».

Le reste de l’article est du même acabit en mêlant des éléments plausibles à une argumentation erronée pour faire passer le message que la journaliste souhaite apparemment véhiculer.

En résumé, on se base sur le postulat de base que des agents infectieux peuvent se retrouver dans les eaux de baignade (ce qui est vrai) pour insinuer qu’il pourrait y avoir un risque d’y contracter le Covid-19. L’article va beaucoup plus loin en prédisant même qu’on pourrait se contaminer en respirant l’air marin !

A l’heure actuelle, il n’y a absolument aucun argument scientifique pour corroborer ces assertions.

Pour en arriver à ces conclusions alarmistes, il faudrait qu’une succession d’hypothèses improbables se vérifient :

1. Des charges virales ET pathogènes importantes soient rejetées dans les eaux usées par des citoyens contaminés ;
2. Que ces particules virales ne soient pas inactivées / filtrées / traitées par les réseaux d’assainissement ;
3. Que des rejets massifs se produisent sur les spots et que l’eau y stagne ;
4. Que les interdictions de surfer en cas de pollution ne soient pas respectées ;
5. Que les coronavirus soient suffisamment concentrés dans l’eau pour être infectieux ;
6. Et enfin, que les particules aérosolisées dans l’air marin soient assez concentrées pour être contaminantes…

Cela fait beaucoup de si, et on voit déjà qu’au bout du compte, l’hypothèse de départ paraît plus qu’improbable.

Quels sont les faits dans la réalité ?

1. Il est en effet possible que de l’ARN viral soit excrété dans les selles¹ de patients atteints par le Covid-19, y compris une semaine après négativation des tests naso-pharyngés. Il existe cependant un doute² sur l’infectiosité du virus dans les selles : en effet, dans une étude récemment publiée dans Nature, malgré la concentration d’ARN viral dans les selles, on ne retrouvait plus de virus infectieux, ce qui pourrait s’expliquer par une désactivation virale par le microbiote intestinal.

2. Une fois dans le réseau d’assainissement, l’ARN viral va également subir une importante dégradation. Non seulement parce qu’il survit beaucoup moins bien dans les eaux usées, mais également parce que les différents traitements en station d’épuration vont l’éliminer ou le neutraliser. Les traitements tertiaires aux UV seraient d’ailleurs particulièrement efficaces. Il est démontré que les coronavirus meurent rapidement dans les eaux usées, beaucoup plus vite que dans une eau courante (2 à 4 jours de survie possible dans les eaux usées contre 10 à plus de 100 jours dans une eau du robinet non traitée, selon sa température). Les quantités d’ARN présentes dans les eaux usées pourraient néanmoins devenir un indicateur du niveau de l’épidémie.

3. Tous les spots ne sont pas égaux devant la pollution fécale. Il existe de nombreuses destinations où l’assainissement est inexistant. Ce n’est pas le cas en France où nous bénéficions de stations d’épuration globalement relativement performantes contre les pollutions microbiologiques, mais qui peuvent être dépassées en cas de fortes pluies sur des réseaux unitaires notamment.

4. En cas de pollution liée au réseau d’assainissement sur un spot, les usagers devraient être systématiquement prévenus en temps réel. C’est ce que j’ai fait mettre en place à Biarritz toute l’année grâce à une application, Biarritz Infoplages, qui avertit les usagers des épisodes de pollution. En suivant les recommandations de ne pas aller dans l’eau pendant les pics de pollution, on minimise encore les risques infectieux (même si, encore une fois, le risque de Covid-19 ne fait pas partie des risques infectieux identifiés).

5. L’océan est un milieu d’épuration à ciel ouvert où différents facteurs vont diluer et désactiver les agents microbiens, comme je le détaille dans le livre Detoxseafication. Les courants, la salinité, la température, les particules en suspension, les UV du soleil et le microbiote marin font leur oeuvre, mais il arrive que certains microbes, et notamment des virus survivent plus longtemps que d’autres. Nous n’avons pas encore de données spécifiques sur la survie du SARS-CoV-2 en milieu salin mais les premiers éléments font état d’un virus fragile dans l’eau.

6. Enfin, même si l’aérosolisation de particules microbiennes est théoriquement possible, les vents marins sont davantage un facteur de grande dispersion que de concentration de ces agents. Le risque de contamination par le Covid-19 existe surtout dans les espaces fermés ou fréquentés. Les espaces de plein air comme le bord de mer sont au contraire des milieux où on est assuré de trouver des concentrations virales nulles ou infimes. Un point important est qu’il faut une dose infectieuse minimale pour se faire infecter. L’air marin a toujours été reconnu pour sa grande pureté et sa faible teneur en microbes.

On voit donc qu’entre une théorie alarmiste et la réalité des choses, il y a un monde qui fait la différence entre un mode de transmission possible et un mode de transmission hautement improbable.

Il faut aussi bien dire qu’à ce jour jamais un cas de contamination au SARS-CoV-2 ou autre coronavirus en milieu marin n’a été décrit.

Je rajouterais que le milieu marin et l’air marin offrent de nombreuses caractéristiques pour prévenir, soigner et même récupérer de ce genre d’infection respiratoire. Mais cela sera le thème d’un prochain article.

C’est important de le rappeler car de tous temps, il y a eu des croyances que les grandes épidémies étaient portées par le vent, et les avancées scientifiques nous ont montré que ce n’était pas le cas.

La mise au point de la scientifique Kim Prather :

« Ma semaine a été rendue un peu folle par une journaliste qui m’a réappris la signification de l’expression « sortie du contexte ». Pour ceux qui l’ont lu, cet article du LA Times a été une grande déception, et a causé chez certaines personnes une angoisse supplémentaire dont nous n’avons vraiment pas besoin en ce moment.

Pour mémoire, l’article était censé se focaliser sur les aérosols qui peuvent aller au-delà de 6 feet, notamment si vous êtes sur une plage très fréquentée, ce qui continuait à se produire dans notre zone. (…)

Actuellement, il y a une large proportion de la population qui est infectée sans présenter de symptômes. Et donc, s’ils surfent ou courent le long de la plage, ils pourraient exhaler des minuscules particules infectieuses aérosolisées. (…)

La bonne nouvelle est que l’air est dilué rapidement en extérieur.

Sur la partie de l’article où je suis citée en disant que je n’irais pas dans l’océan même si on me payait : cette partie a été totalement sortie du contexte et quand je l’ai lue la première fois, j’ai grincé des dents. Je répondais à une question directe après avoir discuté de tous les rejets pollués qui vont dans l’océan après les pluies que nous avons eues. Chacun sait que nos océans sont pollués parfois, souvent ici à San Diego qui est assez polluée en ce moment. Il peut y avoir des eaux usées dans les océans, et non, je n’irais pas dans l’océan quand il est pollué comme maintenant, au même titre que j’éviterais les plages bondées.

Nous avons parlé de la recherche que mon groupe réalise sur la part de la pollution humaine qui va dans l’océan et qui peut se retrouver dans l’atmosphère avec de potentiels effets sur la santé. J’ai clairement indiqué qu’il s’agissait d’un projet de recherche et qu’il faudrait beaucoup de temps avant de connaître les réponses. Malgré cela, elle a choisi de complètement sur-insister sur cette partie pour « faire des clics » sur son article. Cela a été un rappel brutal que les medias d’infos écrivent des histoires pour vendre du papier.

Je lui avais pourtant très bien expliqué que le SARS-CoV-2 n’a jamais été détecté dans l’océan ou dans l’atmosphère par qui que ce soit.

De nombreuses recherches doivent être effectuées pour comprendre ce virus et comment il se déplace dans l’environnement, si jamais c’est le cas.

C’est aussi un virus qui a une enveloppe fragile qui peut être rompue par de la chaleur ou de l’eau, ce qui tue le virus, et ce qui est une très bonne nouvelle. Je lui ai dit tout cela mais elle ne l’a pas publié dans l’article, malheureusement.

L’océan est rempli d’innombrables virus et bactéries naturelles inoffensives qui jouent un rôle vital dans la santé de notre écosystème. Nous cherchons à comprendre comment la pollution humaine modifie cet écosystème. C’est un champ de recherche qui nous motive énormément mais il ne devrait jamais être utilisé pour provoquer de la peur chez les gens, surtout en ces temps difficiles.

Tristement, je n’ai pas vu cela venir. Dès que j’ai vu l’article, j’ai appelé la journaliste et j’ai signalé à quel point il était déformé et sorti du contexte, mais c’était trop tard. La journaliste m’a dit qu’elle recevait beaucoup de commentaires positifs.

Hélas, beaucoup de surfeurs ont pris ombrage face à cet article qui suggère de rester hors de l’eau. J’ai reçu des messages vraiment méchants. Le côté positif est que des surfeurs leaders de fondations majeures m’ont contactée pour me demander des clarifications, et je leur ai expliqué ce qui s’était passé. Ils ont immédiatement compris que j’essayais seulement d’aider les gens pendant cette pandémie et se sont excusés pour les autres surfeurs. Je ferai prochainement un webinaire avec certaines associations pour discuter de notre compréhension actuelle du transport de ce virus par aérosol.

Cette semaine, je suis passée par un stade où je me suis demandée s’il fallait que je continue de parler de ce sujet avec des journalistes. J’ai fait des centaines d’interviews dans ma carrière et jamais une chose pareille ne m’était arrivée. J’ai le sentiment qu’il est important pour des scientifiques d’aider le grand public à comprendre ce qui se passe, surtout pendant cette période… Au final, j’ai décidé qu’il était important de continuer à parler avec un groupe de journalistes triés sur le volet pour faire connaître des messages qui sauveront des vies. (…)

Je garderai la discussion centrée sur les messages les plus utiles  actuellement : « stay home, save lives. Keep your distance. Six feet is likely not enough if you are near someone who is infected. »

Et bien sûr, continuez à faire de l’activité physique et à profiter du plein air car la santé mentale et physique sont cruciales, surtout maintenant. Il faut juste sortir là où il n’y a pas beaucoup de monde…

Stay safe everyone. We will get through this together. »

Kim Prather.

PS : « Je viens d’apprendre que la journaliste qui a écrit l’article se sent également mal à l’aise maintenant qu’elle sait que cette histoire a alarmé beaucoup de monde. Elle m’a dit que ce n’était pas son intention. »

Cet article sera mis à jour avec les études qui seront publiées sur le sujet.

Références :

1. Chen Y. et al. The Presence of SARS-CoV-2 RNA in Feces of COVID-19 Patients. J Med Virol. 2020 Apr 3. doi: 10.1002/jmv.25825.
2. Wölfel R. et al. Virological assessment of hospitalized patients with COVID-2019. Nature. 2020 Apr 1. « Infectious virus was readily isolated from throat- and lung-derived samples, but not from stool samples, in spite of high virus RNA concentration. (…) Further studies should therefore address whether SARS-CoV-2 shed in stool is rendered non-infectious though contact with the gut environment. »
3. Patricia M. Gundy et al. Survival of Coronaviruses in Water and Wastewater. Food Environ Virol. 2009; 1(1): 10.Published online 2008 Dec 3.
4. How sewage could reveal true scale of coronavirus outbreak. Nature.com. 3 avril 2020.
5. Albert Bosch, F. Xavier Abad, and Rosa M. Pint´o. Human Pathogenic Viruses in the Marine Environment. http://www.ub.edu/virusenterics/wp-content/uploads/2013/06/Human-Enteric-Viruses-in-the-Marine-Environment.pdf

A propos de l'auteur :

Médecin, surfeur, blogueur. Auteur des livres Surfers Survival Guide, Surf Thérapie et DETOXseafication.

 

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1 commentaire

  1. Gilbert Barnabé dit :

    Voici un article de 2017sur le transport atmosphérique de virus
    The ISME Journal
    https://doi.org/10.1038/s41396-017-0042-4
    ARTICLE
    Deposition rates of viruses and bacteria above the atmospheric
    boundary layer
    Isabel Reche 1 ● Gaetano D’Orta1 ● Natalie Mladenov2 ● Danielle M. Winget3 ● Curtis A. Suttle 3
    Received: 5 June 2017 / Revised: 10 October 2017 / Accepted: 9 December 2017
    © International Society for Microbial Ecology 2018
    Abstract
    Aerosolization of soil-dust and organic aggregates in sea spray facilitates the long-range transport of bacteria, and likely
    viruses across the free atmosphere. Although long-distance transport occurs, there are many uncertainties associated with
    their deposition rates. Here, we demonstrate that even in pristine environments, above the atmospheric boundary layer, the
    downward flux of viruses ranged from 0.26 Å~ 109 to >7 Å~ 109 m−2 per day. These deposition rates were 9–461 times greater
    than the rates for bacteria, which ranged from 0.3 Å~ 107 to >8 Å~ 107 m−2 per day. The highest relative deposition rates for
    viruses were associated with atmospheric transport from marine rather than terrestrial sources. Deposition rates of bacteria
    were significantly higher during rain events and Saharan dust intrusions, whereas, rainfall did not significantly influence
    virus deposition. Virus deposition rates were positively correlated with organic aerosols 0.7 μm, implying that viruses could have longer residence times in the
    atmosphere and, consequently, will be dispersed further. These results provide an explanation for enigmatic observations
    that viruses with very high genetic identity can be found in very distant and different environments.

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