Comme nous l’avons vu, les récifs coralliens sont en grand danger et sont menacés de mort d’ici à 2050. Il existe plusieurs facteurs qui entrent en jeu : le réchauffement de l’eau, son acidification, la pollution chimique par pesticides, hydrocarbures… Les crèmes solaires que nous utilisons pour nous protéger du soleil auraient également un impact délétère sur la santé des coraux et pourraient menacer jusqu’à 10% des récifs coralliens du monde. Ce sont les recherches de Roberto Danovaro et de son équipe de la Faculté des Sciences de l’Université Polytechnique des Marches à Ancône en Italie, qui ont montré que certains ingrédients des crèmes solaires pouvaient tuer les coraux. Voici le détail de cette étude de référence publiée dans Environmental Health Perspectives en avril 2008 intitulée « Sunscreens Cause Coral Bleaching by Promoting Viral Infections ».

Le contexte de l’étude : le blanchissement du corail a un impact négatif sur la biodiversité et le fonctionnement des écosystèmes des récifs. Ce phénomène qui s’aggrave partout dans le monde est lié à des changements de température, à la pollution et à des maladies infectieuses. Plus récemment, il a été démontré que des produits cosmétiques, et notamment des écrans solaires, pouvaient avoir un impact négatif sur des organismes marins, comparable à celui des autres facteurs contaminants. Le but de l’équipe de chercheurs italiens était d’évaluer l’impact potentiel des ingrédients des crèmes solaires sur les coraux durs et sur leur algue symbiotique, la zooxanthelle.

Les recherches ont été conduites à Siladen, dans la Mer des Célèbes en Indonésie; à Akumal dans la Mer des Caraïbes au Mexique, à Phuket en Thailande dans la Mer d’Andaman ainsi que dans la Mer Rouge, à Ras Mohammed en Egypte. Des échantillons de corail ont été testés dans des sacs spéciaux en polyéthylène remplis d’eau de mer avec différentes concentrations en crème solaire (10, 33, 50 et 100 μL/Litre d’eau de mer filtrée ne contenant pas de virus). Ils ont été comparés à des échantillons témoins placés dans les même conditions (température, profondeur).

L’addition de crème solaire, même en très petite quantité (10 μL/L) a entraîné la libération de grandes quantités de zooxanthelles et de tissu corallien dans les 18 à 48 heures qui ont suivi l’immersion dans l’eau de mer « contaminée » par la crème solaire. Le blanchissement total du corail a été obtenu dans les 96 heures. Différentes marques de crème solaire, avec des indices de protection variés, ont été testés et tous ont provoqué le blanchiment du corail dur, autrement dit sa mort. La vitesse de blanchiment était plus rapide quand de plus grandes quantités de crème solaire étaient utilisées. Le blanchissement était plus rapide dans les environnements où la température était plus élevée, ce qui suggère un effet synergique entre la crème solaire et la température élevée sur la dégradation du corail.

La microscopie électronique en transmission (MET ou TEM) et la microscopie en épifluorescence ont révélé la perte des pigments photosynthétiques et l’altération des membranes des zooxanthelles libérées par le corail exposé aux crèmes solaires. Les membranes des  zooxanthelles du corail non traité n’ont pas montré d’altération majeure. Ces résultats suggèrent que les crèmes solaires peuvent avoir un effet rapide sur des coraux durs et provoquent leur blanchissement en endommageant les zooxanthelles, les algues vivant en symbiose avec eux.

Même si les concentrations minimales de filtres solaires testées dans cette expérience (10 μL/L) sont supérieures à celles retrouvées dans la plupart des environnements naturels, la réponse du corail à l’exposition aux crèmes solaires n’était pas dose-dépendant ; les mêmes effets ont été observés que la concentration en produits solaires soit basse ou élévée (même si la vitesse de blanchiment semble dose-dépendant, le résultat final est le même). Les chercheurs ont donc fait l’hypothèse que les filtres solaires utilisés dans les crèmes solaires pouvaient avoir un impact négatif à des concentrations inférieures à celles utilisées dans leur étude.

Les crèmes solaires utilisées pour l’expérience contenaient une vingtaine d’ingrédients chimiques. Les chercheurs ont voulu aller plus loin en identifiant les ingrédients ou les conservateurs les plus nocifs pour le corail en testant un par un 7 composants des crèmes solaires sur le corail (Acropora spp) . Il en est ressorti que l’ ethylhexylmethoxycinnamate, le benzophenone-3 (ou oxybenzone), le 4-methylbenzylidene camphre et le butylparaben provoquaient la blanchiment complet du corail, même à de très faibles concentrations. Les autres composants testés (octocrylene, ethylhexylsalicylate, 4-tert-butyl-4-methoxydibenzoylmethane et le solvant propylene glycol) avaient par contre des effets mineurs, ou pas d’effet, sur le corail si on comparaît les échantillons aux prélèvements de corail témoins. Ces résultats suggèrent que les crèmes solaires contenant des cinnamates, des benzophenones, des dérivés du camphre ou des parabens peuvent contribuer au blanchiment du corail dur si dispersées dans l’environnement aquatique.  Les parabens peuvent représenter environ 0.5% des composants des crèmes solaires et il existe des doutes quant à la toxicité des parabens pour la santé.

Quel est le mécanisme du blanchiment des coraux ? Les chercheurs ont constaté que le contact avec des composants de crème solaire entraînait une augmentation significative du nombre de virus (multipliés par 15) autour des branches de corail, alors qu’elles avaient été préalablement nettoyées et immergées dans une eau sans virus.  Les virus rencontrés provenaient donc des coraux eux-mêmes ou de leurs algues zooxanthelles. Les écrans solaires induiraient le blanchiment du corail en induisant un cycle lytique viral dans les algues ou les microorganismes ayant une infection latente. Les pesticides, les hydrocarbures et d’autres polluants retrouvés dans l’eau pourraient agir de la même manière en provoquant un cycle lytique par des virus. Les composants nocifs des crèmes solaires et les polluants agiraient donc en « réveillant » des virus qui se mettraient alors à détruire leurs hôtes comme les algues zooxanthelles.

On estime que 10,000 tonnes de filtres solaires sont produits chaque année. 10% des crèmes solaires produites seraient utilisées dans des régions tropicales avec des récifs coralliens. Les auteurs de cette étude ont estimé qu’en moyenne 25% des composants d’une crème solaire appliquée sur la peau sont relargués dans l’eau au bout de 20 minutes d’immersion (note de Surf Prevention : durée qui est inférieure à celle de la session moyenne d’un surfeur sous les tropiques, surtout si les vagues sont belles…). Sachant cela, 10 % des récifs coralliens du monde seraient menacés par le blanchiment du corail induit par les crèmes solaires. L’impact des crèmes solaires serait le plus important dans les atolls et les récifs côtiers à vocation touristique et à faible renouvellement d’eau.

Les chercheurs estiment que cette étude apporte une preuve scientifique solide de l’impact des produits solaires sur les coraux et qu’elle devrait entraîner des mesures pour les protéger. Les auteurs disaient déjà en 2008 qu’il était urgent de trouver une solution pour utiliser préférentiellement des filtres solaires respectant ces écosystèmes en voie de disparition que sont les récifs coralliens.

Sur la photo ci-dessus : Impact de l’ajout de crème solaire sur des coraux de type Acropora. Coraux non traités à gauche (marrons) ; coraux traités à droite (décolorés). (A) Acropora cervicornis (Caribbean Sea, Mexique); (B) Acropora divaricata (Celebes Sea, Indonesie); (C) Acropora sp. (Mer Rouge, Egypte);(D) Acropora intermedia (Andaman Sea, Thailande). Images prises 62 heures après incubation avec crèmes solaires. Echelle (en bas à droite = 2 cm).

Références : Roberto Danovaro¹, Lucia Bongiorni¹, Cinzia Corinaldesi¹, Donato Giovannelli¹, Elisabetta Damiani², Paola Astolfi³, Lucedio Greci³, Antonio Pusceddu¹. Sunscreens Cause Coral Bleaching by Promoting Viral Infections.

1 Department of Marine Sciences
2 Institute of Biochemistry and
3 Department of Chemical Sciences and Technologies, Faculty of Science, Polytechnic University of the Marche, Ancona, Italy

Address correspondence to R. Danovaro, Department of Marine Sciences, Faculty of Science, Polytechnic University of the Marche, Via Brecce Bianche, 60131 Ancona, Italy. Telephone: 39-071-2204654. Fax: 39-071-2204650. E-mail: r.danovaro@univpm.it

Environ Health Perspect. 2008 April; 116(4): 441–447.

Published online 2008 January 3. doi: 10.1289/ehp.10966.

Texte intégral : http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2291018/

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  1. […] crèmes solaires dans la mort des coraux. Sans revenir sur tout le détail de leur étude (ce site ici l’explique très bien je trouve ), il en ressort que certains filtres UV et conservateurs […]

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