Brian Keaulana, l’un des watermen hawaiiens les plus respectés, formateur reconnu en sécurité aquatique l’a rappelé ce printemps lors de sa venue à Biarritz à l’occasion de la dernière édition de la Maïder Arosteguy : pour bien surfer, il faut d’abord savoir bien bodysurfer et nager, c’est la base de tout.

Duke Kahanamoku, waterman emblématique, homme voué à toutes les pratiques océaniques, en est le meilleur exemple, lui qui fut non seulement le « père du surf moderne » et son meilleur ambassadeur, mais aussi le premier véritable champion mondial de natation, ce que l’on a tendance à occulter dans la communauté surf de nos jours.

Un livre consacré au Duke Kahanamoku vient de paraître aux éditions Atlantica : WATERMAN traduit de l’anglais par Hervé Manificat qui nous livre ici un avant-goût de la partie « Duke de France ».

Duke Kahanamoku fut en effet médaillé olympique du 100 m crawl des jeux de 1912, 1920 et 1924, titulaire de nombreux records qu’au début les instances officielles du sport refusèrent de croire tant ses temps pulvérisaient les standards établis.

Le crawl, terme auquel on peut préférer celui de « nage libre » (de toute entrave et de toute convention), était pratiqué initialement par les Indiens d’Amérique et les Polynésiens pour lesquels il dériverait des mouvements de rame du surf. Il fut considéré jusqu’à la fin du 19e siècle en Occident comme efficace mais « trop primitif » et peu élégant, du fait des nombreuses éclaboussures inhérentes à sa pratique. La brasse était jugée à l’inverse plus « harmonieuse », plus coulée et donc plus « civilisée ». Une fois modernisé et recyclé via diverses variantes, le crawl a fini par s’imposer, en grande partie grâce au fameux « Kahanamoku kick », le battement de pieds caractéristique de Duke.

Fait peu connu, ce dernier a véritablement contribué à lancer la natation en France qui, en 1920, ne disposait en tout et pour tout sur son territoire que de 20 piscines (4135 aujourd’hui), soit un bassin pour 2 millions d’habitants, et dont 4% à peine de la population savait nager (21 % de non-nageurs aujourd’hui). Toutes les compétitions de natation parisiennes, notamment les épreuves de nage des JO de Paris de 1900, avaient alors lieu dans la Seine, faute de bassin adéquat.

C’est ainsi que le dimanche 6 septembre 1920, à l’issue des jeux olympiques d’Anvers et à l’invitation de la Ligue Nationale de Natation française, l’équipe de natation américaine au grand complet, avec Duke médaillé d’or à sa tête, vint faire une grande démonstration de natation et de plongeon à Paris près de la tour Eiffel. Figure populaire du sport mondial au même titre que les grands boxeurs ou champions cyclistes du temps, Duke faisait alors l’objet en France et dans le monde de cartes postales ou à collectionner, de caricatures et d’articles dans la presse sportive. Des milliers de spectateurs affluèrent donc pour assister à cette démonstration comprenant quelques courses avec les meilleurs nageurs français qui firent bien pâle figure, en dépit de la sportivité de Duke et de ses camarades qui cherchèrent à ne pas trop humilier leurs hôtes. « Le fameux nageur hawaïen fait une impression fantastique et gagne sans paraître produire d’effort », indiquent le soir même les quotidiens. Filmée par les actualités de la Gaumont, abondamment relayée et commentée dans les journaux dont beaucoup analysèrent les méthodes américaines et réclamèrent la construction de piscines, cette manifestation nautique révéla à notre pays la natation moderne et déclencha un véritable élan en faveur de celle-ci.

Duke put en constater les effets quatre ans plus tard lors des jeux olympiques de Paris où il devint à 34 ans médaillé d’argent dans le stade nautique flambant neuf des Tourelles (aujourd’hui piscine Georges-Vallerey dans le 20e arrondissement) face à son grand rival Johnny Weissmuller, futur Tarzan de cinéma. Il résuma ainsi sa philosophie de la nage dans l’une de ses interviews de l’époque :

« Que vous désiriez faire de l’exercice, avoir du plaisir ou simplement évacuer le vague à l’âme, mon mot d’ordre est « nager ». La natation est pour moi une récréation et un plaisir que l’on ne peut retrouver dans aucune autre forme de sport ou de loisir. Selon moi, nager est une nécessité et la natation doit être pratiquée aussi bien par les hommes que par les femmes, aussi bien par les enfants que par les adultes. »

Démonstrations impressionnantes de Duke et des autres nageurs américains, vogue grandissante des pratiques sportives, essor de l’olympisme, congés payés et découverte du bord de mer, publication de nombreux manuels de natation et d’articles… La France se jetait enfin à l’eau après plusieurs siècles de méfiance…

En 2024, cent ans après l’édition des jeux de Paris au cours de laquelle Duke obtint sa dernière médaille olympique, les jeux auront de nouveau lieu dans notre capitale. La natation en sera toujours l’une des disciplines phares et le surf, dont l’image et les valeurs sont maintenant présentes partout dans le monde grâce à Duke, en constituera probablement l’une des épreuves si son entrée aux jeux est définitivement validée à l’issue de ceux de 2020 à Tokyo. Natation et surf au même programme olympique : nul doute que Duke Kahanamoku, figure emblématique de ces deux sports, aurait vu là à la fois son vœu exaucé et l’aboutissement de toute son existence. Se baignera-t-on alors de nouveau dans la Seine comme le promit Jacques Chirac en 1988 et plus récemment Anne Hidalgo ? Il sera bon alors de rendre un hommage appuyé à l’athlète hawaiien qui nous y invita à partager ses dons nautiques ancestraux.

Pour en savoir plus :

Waterman, de David Davis, la première biographie en français de Duke Kahanamoku, éditions Atlantica, 22 €. En partenariat avec les fédérations françaises de surf et de natation, comprend une iconographie enrichie et une annexe inédite consacrée à ses voyages et à son influence en France. Commandez WATERMAN ici.

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